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TOULOUSE
11/03/2007
Isolde : Janice Baird / Brangäne : Janina Baechle
© Patrice Nin
Richard WAGNER (1813-1883)
TRISTAN UND ISOLDE
Drame musical en trois actes
Livret du compositeur
Nouvelle production
Mise en scène, Nicolas Joel
Décors et costumes, Andreas Reinhardt
Lumière, Vinicio Cheli
Tristan, Alan Woodrow
Le roi Marke, Kurt Rydl
Isolde, Janice Baird
Kurwenal, Oliver Zwarg
Melot/Un marin,Christer Bladin
Brangäne, Janina Baechle
Un berger, Alfredo Poesina
Un timonier, Laurent Labarbe
Orchestre National du Capitole
Chœur du Capitole
Direction du chœur, Patrick Marie Aubert
Direction musicale, Pinchas Steinberg
Toulouse, le 11 mars 2007
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Duo ou duel ?
Pari gagné pour Nicolas Joel : sa vision de Tristan et Isolde
s’impose comme une création qui rend puissamment justice
à cette œuvre redoutable à mettre en scène.
A aucun moment n’affleure l’ennui qui nous avait
accablé naguère à Montpellier ; mieux,
d’un acte à l’autre, l’intérêt va
croissant, et comme à l’accoutumée, le spectacle
est accessible aussi bien à ceux qui découvrent
l’opéra qu’aux wagnériens férus.
Andreas Reinhardt et Vinicio Cheli illustrent cette conception en
composant images et atmosphères d’une force
prégnante, à quelques détails près, comme
les feuilles chutant des cintres à la fin du deuxième
acte ou le fond de scène du tableau final.
Au premier acte, un plateau composé de plusieurs pans (dont
l’un, triangulaire, évoque l’étrave
d’un bateau) et actionné par la machinerie du Capitole
recrée le pont du navire balancé par tangage et roulis.
Assez mesurés pour ne pas provoquer de mal de mer, ces
mouvements réguliers renforcent l’effet de fascination
créé par la musique. Uniformes d’officiers de la
marine pour les hommes, robe longue de forme princesse pour Isolde,
tailleur strict pour Brangäne, les costumes jouent les oppositions
de couleur, blanc, noir ou bleu nuit. La robe d’apparat
d’Isolde dévoile des bas et des chaussures rouges, signes
d’une sensualité ardente bien que bridée par le
décorum ; et sa robe, de même coupe, sera rouge au
troisième acte lorsqu’elle viendra retrouver Tristan
à Kareol. Mais au deuxième acte, l’étreinte
de la nuit d’amour restera chaste, presque allusive; soit
qu’en terre jadis cathare le souvenir des parfaits ait
imprégné la conception, soit que l’ivresse du
contact est telle que l’extase est atteinte du seul fait du
voisinage de l’aimé(e).
Quand se déroule cette histoire ? Pas au Moyen-Âge,
la torche de l’acte II est électrique et les
épées de Melot et Kurwenal, bien que d’apparence
traditionnelle, peuvent tuer à distance. A l’acte III, la
machinerie transforme un pan triangulaire du plateau en promontoire
où gît Tristan, face contre terre et bras ballants, dans
la même attitude qu’Isolde à la fin de l’acte
précédent. Un aérolithe d’abord suspendu
dans l’espace va s’en rapprocher jusqu’à
devenir un « calme bloc ici-bas chu d’un
désastre obscur » reposant sur la dépouille de
Tristan. Isolde, figée sur le promontoire, entre debout dans
l’au-delà, à la fois flamme et figure de proue de
l’amour absolu.
A cette réussite théâtrale s’ajoute une
réussite musicale presque exemplaire. Le prélude du
premier acte, où s’expriment de façon lancinante
l’inassouvissement et la quête de l’infini, n’a
pas tout à fait la force quasiment magique qui fait
éprouver à l’auditeur l’impression d’un
monde qui s’ouvre et l’aspire dans un mouvement
irrésistible entre insatisfaction et volupté. Mais la
mise en train terminée, c’est un orchestre du Capitole
à la hauteur de sa réputation qui répond à
la direction ferme et précise d’un de ses partenaires
préférés, Pinchas Steinberg. Equilibre parfait
entre fosse et plateau, attaques toujours indiquées aux
chanteurs, le chef mérite bien les ovations qui
l’accueillent aux saluts.
(du premier au dernier plan) Isolde : Janice Baird / Tristan : Alan Woodrow
Le Roi Marke : Kurt Rydl / Kurwenal : Oliver Zwarg
© Patrice Nin
Et côté vocal ? Le chœur, en coulisse, ponctue
les situations efficacement. Le berger d’Alfredo Poesina est bien
engorgé, mais Melot et le timonier sont de qualité. La
Brangäne de Janina Baechle est convaincante sur tous les plans et
son appel à la vigilance des amants au deuxième acte
sublime l’anecdote et son personnage. Oliver Zwarg incarne un
Kurwenal émouvant dans sa fidélité ; la voix
sonne juste, les moyens sont là et les intentions
maîtrisées. Le vétéran Kurt Rydl
défie les années ; le vibrato n’échappe
quasiment jamais au contrôle et la voix est toujours aussi
impressionnante de projection ; son roi Marke a toute la
dignité et l’humanité souhaitables.
Tristan : Alan Woodrow / Isolde : Janice Baird
© Patrice Nin
Le
Tristan d’Alan Wodrow a semblé, vocalement et
scéniquement, peu à son aise tout au long du
deuxième acte, mais il a fait un excellent troisième,
malgré la fatigue perceptible à de rares raucités,
surmontant crânement les difficultés de la tessiture et se
révélant bouleversant d’intensité. Sa
partenaire, Janice Baird, signe une performance d’actrice
remarquable ; elle sait passer de la révolte du premier
acte à l’inconscience de la jeune femme qui danse, au
deuxième, en attendant son amoureux avant de se tendre de tout
son corps sous l’effet du désir, puis à la
prostration et enfin à cet état second où, sourde
aux appels, elle a déjà quitté le monde. En outre
sa beauté physique rend crédible le texte qui
célèbre le pouvoir d’attraction de son personnage.
Vocalement, elle frappe d’emblée par son autorité,
et hormis quelques graves grossis et autres stridences dans
l’aigu à la fin du premier acte, on doit s’incliner
devant l’ampleur et la vaillance. Mais dans le grand duo de
l’acte deux, nous avons l’impression que Janice Baird ne
chante pas avec Alan Wodrow, mais contre lui, ou, si l’on
préfère, pour elle-même, avec comme
conséquence une déperdition émotionnelle et
musicale de l’ensemble. Et le sourire extatique d’Isolde
mourant tient peut-être moins à la situation
créée par Wagner qu’à la griserie
d’être seule en scène, sur la proue dressée
devant le public.
A ces réserves près, c’est bien une production
d’une très grande qualité que le public
international présent au Capitole a longuement acclamée.
Maurice SALLES
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