Succès pour cette Turandot
avignonnaise avec pas moins de huit prises de rôle pour la totalité
du cast masculin dont le ténor Jean-Pierre Furlan en Calaf. Nous
étions venus pour lui. Nous ne fûmes pas déçus.
Mais procédons par ordre.
Antoine Selva, en véritable
homme à tout faire, déroule pour nous un beau livre d'images
qui se feuillette sans déplaisir. Dans un décor impressionnant,
oppressant, lugubre avec la présence obsédante du bourreau
et son cimeterre grand comme un jour sans pain, quelques idées sont
originales (les ministres au bain), d'autres plus saugrenues (Calaf et
Turandot recevant cadeaux et bibelots d'une improbable liste de mariage
en vue d'un voyage de noce obligé ?).
Les costumes sont chatoyants, les figurants
musculeux à souhait et les éclairages sculptent la scène
en de jolis effets poétiques.
Coiffée comme Mireille Mathieu,
telle une Nounou d'enfer entourée de bambins rigolards, de
cinquante choristes pas toujours au diapason et souvent en décalage
- il en fallait au moins le double ! -, Turandot fait une entrée
sans mystère, sans magie, sans aura ; l'ensemble ressemble plus
à la garden-party d'une princesse capricieuse d'un domaine
d'opérette qui s'adonne à son jeu favori : Questions pour
un Champion.
Bien peu de tension dramatique, hélas,
dans la scène des énigmes où chacun se rabat sur la
seule puissance de son chant. Envahissant aussi, ce ballet au lever du
rideau du troisième acte. Plus réussis seront la mort de
Liu ou ce saisissant choeur final du 3, gorgé de lumière.
Mais le savoir faire de Puccini/Alfano y est certainement pour quelque
chose...
Habituée des grands rôles
wagnériens et straussiens, mais empêtrée dans un italien
cosmopolite fort drôle, la très belle et sculpturale Janice
Baird a le physique, ainsi que la voix du rôle et tient à
le faire savoir. La soprano américaine décroche sans peine
la flopée de si et ut qui truffent sa partition, noie, avec un bonheur
partagé par tous, ses partenaires dans les ensembles, arrive même
à émouvoir dans les scènes finales.
Tout comme Jean-Pierre Furlan, qui
n'arrête pas de nous étonner au fil des saisons. Voilà
un Calaf au chant glorieux, digne des Chauvet et autres Py... car toujours
au plus près du texte musical et de ses nuances. La voix a gagné
en puissance, l'acteur est sympathique. Toutefois, une projection plus
large, moins "pointue" mériterait d'être mise au point par
cet éminent musicien. Il y gagnerait confort et aisance... Fort
bien placés, fort bien phrasés, ses deux airs dont le très
attendu "Nessun Dorma" ont fait chavirer la salle.
Si le rôle de Liù n'a
plus aucun secret pour Rié Hamada, dans ses courtes mais décisives
interventions, Wojtek Smilek campe un fort sonore Timur. Satisfecit
global pour les trois ministres, sérieux comme des papes, bien en
situation, loin de l'imagerie commedia dell' arte habituelle.
On l'a dit, la cinquantaine de choristes
a fait tant bien que mal son travail. Par contre, Alain Guingal ose un
Puccini aux dimensions d'une cérémonie tragique et met au
mieux en valeur la richesse orchestrale de l'oeuvre. Sa direction très
passionnée fait ressortir fort adroitement les subtilités
polytonales et polyrythmiques d'une composition qu'il faut bien considérer
comme unique en son genre. Une lecture spectaculaire de Turandot,
mais toujours respectueuse des nuances diaphanes d'une partition - le sait-on
? - contemporaine du Wozzek d'Alban Berg.
Christian COLOMBEAU