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MUNICH
22/09/2007
Lorenzo Regazzo (Selim)
© DR
Gioachino ROSSINI (1792-1868)
IL TURCO IN ITALIA
Dramma buffo per musica in due atti
Libretto di Felice Romani
Production de l’Opéra d’Etat de Hambourg
Mise en scène, Christof Loy
Décors et costumes, Herbert Murauer
Lumières, Reinhard Traub
Chorégraphie, Jacqueline Davenport
Selim, Lorenzo Regazzo
Donna Fiorilla, Alexandrina Pendatchanska
Don Geronio, Alessandro Corbelli
Don Narciso, David Alegret
Prodoscimo, Nikolay Borchev
Zaida, Valentina Kutzarova
Albazar, Maximilian Schmitt
Orchestre de l’Opéra d’Etat de Bavière
Chœur de l’Opéra d’Etat de Bavière
Chef de chœur, Andrés Maspero
Ballet de l’Opéra d’Etat de Bavière
Direction musicale, Maurizio Barbacini
Munich, le 22 septembre 2007
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Un Turc pas très catholique
Il Turco in Italia
est une œuvre mal aimée dans la production de Rossini. En
1814 le public milanais l’accueillit tièdement ; il
trouvait la nouvelle création bien inférieure à L’Italiana in Algieri.
Et en effet le titre peut faire attendre une sorte de double en miroir
de la farce énorme où une héroïne hors norme
réédite l’exploit de Belmonte dans
L’enlèvement au Sérail.
Mais un examen même sommaire du livret, que l’écoute
musicale viendra confirmer, révèle bien vite les
différences qui interdisent que l’on traite l’un
comme l’autre.
Romani s’inspire du Turco in Italia donné à Dresde
en 1788 sur un livret de Caterino Mazzolà, (connu surtout pour
avoir refait à la demande de Mozart celui de La Clemenza di Tito).
On y trouve déjà un auteur en quête de personnages.
Mais Romani renonce à la scène fantastique qui fait de
Selim et Zaida des émules de Roméo et Juliette et la
remplace par la mascarade source de méprises telles que les
personnages finissent par douter de leur identité. La
scène finale dérive probablement de La Capricciosa corretta, opera buffa de Martin y Soler sur un livret de Da Ponte (comme on se retrouve !).
Comme dans Cosi et dans La Capricciosa,
l’équivoque règne en maître : Fiorilla
et Narciso sont-ils amants au sens d’aujourd’hui ? Ce
dernier, dont le nom est un signal, est-il un jeune mâle
affamé de satisfactions bien en chair ou un godelureau surtout
préoccupé de son image et de son statut de
sigisbée d’une femme en vue ? Fiorilla est –
elle une femme facile, en quête constante de nouveaux
mâles, ou une coquette aimant à jouer avec le feu par
bravade et vite disposée à renoncer à ses
provocations quand son statut social est menacé ?
Le livret de Romani et les didascalies interdisent de répondre
de façon péremptoire, et ces indéterminations
contribuent à l’ambigüité d’une
œuvre où le comique et le sérieux sont
étroitement mêlés.
En choisissant de faire de Fiorilla une nymphomane Christof Loy
violente l’œuvre et la prive de sa polysémie. Avec
son partenaire aux décors et aux costumes il installe
l’œuvre dans la quotidienneté contemporaine, selon
les critères en vogue outre Rhin. La promenade sur le golfe de
Naples devient une zone indistincte : un terrain vague entre deux
immenses hangars vraisemblablement désaffectés qui
abritent de rapides étreintes avec comme échouée
la roulotte où s’entassent plusieurs dizaines de
Bohémiens, devenus évidemment des Roms immigrés
naufragés de la société de consommation. Seule
l’arrivée de Selim sur son tapis volant – encore
qu’à y repenser il était peut-être à
réaction – échappe à cette volonté de
réalisme aux antipodes de l’esthétique de Rossini.
Pour clore ce chapitre signalons le message final. Salim et Zaida sont
repartis en Turquie et Geronio et Fiorilla devraient enfin goûter
la paix conjugale, à défaut du bonheur. Alors
apparaissent deux décors accolés, à jardin un
salon à l’orientale et à cour son pendant à
l’européenne. Tandis que retentit le chœur final,
qui invite à la sérénité par
l’intégration des erreurs dans la construction d’un
amour solide, Selim et Zaida d’un côté et Geronio et
Fiorilla de l’autre se disputent une
télécommande : la télévision tue la
communication, donc l’amour.
On l’a compris, le travail de Christof Loy et de son
équipe visait moins à servir la spécificité
de l’œuvre qu’à tirer la couverture à
eux. Mission accomplie, pour la plus grande satisfaction, on ne peut le
nier, du public nombreux en ce soir de réouverture de l’Opéra d’Etat de Bavière.
Hélas, les plans vocal et musical ne compensent pas la
déception née du traitement visuel et dramatique.
L’ouverture avait pourtant laissé espérer une
exécution de qualité, rappelant l’exceptionnelle
interprétation donnée par Philippe Jordan voici une
dizaine d’années à Bruxelles tant pour la direction
que pour la qualité des musiciens. Malheureusement les
problèmes commencent dès que la scène
s’anime : le trop petit nombre de répétitions
est probablement à l’origine des approximations et
décalage survenus çà et là. La direction
devient anonyme et laisse faire, comme dans l’air final de
Fiorilla.
Les personnages secondaires, Albazar et Zaida, ne sont ni à blâmer ni à louer. Prodoscimo - Nikolay Borchev - soutient de son mieux le rôle de souffre-douleur qui lui a été dévolu. David Alegret
fait de Narciso ce que voulait le metteur en scène ; a-t-il
raison de continuer à chanter des rôles rossiniens
où les limites dans l’aigu déjà
perçues à Pesaro sont toujours sensibles ?
Avec Alexandrina Pendatchanska
le problème de l’abattage scénique ne se pose
pas ; C’est l’aspect vocal qui suscite les
réserves : la voix chaude et la tessiture étendue
– les aigus extrêmes sont difficiles mais le registre grave
est d’un contralto – conviennent au personnage, mais
à vrai dire on ne comprend presque rien du texte chanté,
tant la recherche du son et d’effets de contraste amènent
de maniérisme. N’est pas Bartoli qui veut !
Heureusement deux hommes, deux Italiens, sauvent la soirée. Dans
un rôle qu’il a chanté souvent, et enregistré
avec Riccardo Chailly, Alessandro Corbelli
fait une fois encore merveille en mari pusillanime. A près de
trente-cinq ans de présence en scène la voix reste
fraîche et puissante et l’acteur toujours aussi efficace.
Quant à Lorenzo Regazzo,
interpréte du rôle titre, il est apparemment sans effort
le séducteur infatué prompt à s’enflammer et
pourtant au cœur tendre. Maîtrisant plus que jamais une
voix parfaitement adaptée aux exigences de la partition et
connaissant parfaitement les codes interprétatifs de Rossini il
donne au spectateur l’impression fallacieuse que rien n’est
plus facile à chanter que cette musique là. Un
comble ! Le duo entre ces deux grands a du reste recueilli un
très vif succès.
A l’applaudimètre, les acrobaties vocales et la
séduction d’Alexandrina Pendatchanska l’emportent,
mais le succès est général, le public ayant
manifestement accepté de bonne grâce ou en ignorance de
cause le traitement imposé à l’œuvre.
Maurice SALLES
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