Affrété à Bordeaux
voici deux saisons, c'est après avoir bourlingué à
Nancy que Le Vaisseau Fantôme de Richard Wagner mis en images
par Dame Francesca Zambello a jeté l'ancre dans le Vieux Port de
Marseille pour cinq représentations. Volons à l'essentiel.
On ne pourra pas reprocher à Francesca Zambello d'avoir fait une
lecture orientée du livret, ni même d'avoir fait preuve d'une
imagination déroutante en ce qui concerne les décors (absents)
et les costumes (Alison Chitty). Éclairs, vents et fumées
(bravo à Rick Fisher) de toutes les couleurs jusqu'au suicide raté
et donc ridicule de Senta, tout cela sentait tout de même un peu
le réchauffé, le déjà vu avec ces acrobates
accrochés aux tubulures mal huilées venues des cintres ou
ces énormes cordes multicolores qui deviennent les jouets des matelots
- c'est fou ce que l'on peut jouer à Tarzan sur un navire ! - puis
des fileuses en mal d'excitation...
Dramatiquement, la raideur côtoie
l'excès. Aucun mystère lors de l'apparition du Hollandais,
lors de sa rencontre avec Senta - anagramme (approximatif) de Satan avec
sa robe rouge ? là, enfin, une belle idée ! - la rédemptrice
scène finale soulevant l'hilarité avec un saut de l'Ange
bien calculé alors que l'on attendait un plongeon spectaculaire
devant l'ouverture béante et dantesque pratiquée sur scène
! Que nenni !! Miss Senta préfère se faire peloter par quelques
figurants tout droits sortis de Buchenwald sous l'oeil hilare des spectateurs...
Où est donc passé la dimension fantastique du drame ? L'éclosion
troublante des sentiments réciproques ? Même la rencontre
des deux équipages "au bord d'une côte déchirée
par la tempête" se déroule dans la distanciation la plus forte.
Raideur et froideur aussi dans le jeu d'Erik qui tentera, sans aucune conviction,
de retenir Senta envoûtée.
Vocalement, par contre, le miracle
est permanent. Aucun reproche sérieux à adresser au plateau
survolté - on verra pourquoi à la fin. Gabriele Fontana a
tout pour Senta. Un physique de rêve, la voix du rôle, héroïquement
naturelle, l'engagement sympathique jusqu'au suicide halluciné mais
déterminé, et donc responsable. Bien en place aussi la Mary
( très kapo concentrationnaire) de la grecque Marita Paparizou.
Avide, cupide - tellement humain donc ! - la basse franche, juste et puissante
d'Hans Peter König (Daland) fait grande impression dans le navire
phocéen. Caricaturant l'intrus (un chasseur dans un monde de marins),
Endrik Wottrich chante le plus beau Erik qui se puisse imaginer. En dramatisant,
sans trop d'excès, son bel canto wagnérien, il sait
faire comprendre où se situe le conflit qui, dans cette mise en
scène, l'oppose à Senta.
Vainqueur toutes catégories,
le Hollandais royal d'Albert Dohmen. Simplement immense. Ampleur du son,
jeu sobre dans la grandeur et le mystère avec un poids sur les mots,
comme extirpés du plus profond du mythe.
Armin Jordan dirigeait pour la première
fois de sa carrière à Marseille. Dès l'ouverture,
comme refusant les brumes nordiques de la partition, il tire des Choeurs
et de l'Orchestre de l'Opéra de Marseille des couleurs très
méditerranéennes (les fumigènes sont sur scène,
basta !) et emporte ses solistes dans un sillage d'écume époustouflant,
avec un superbe travail sur les cordes et les bois. Un bain en fusion permanent,
un maelström romantique et visionnaire à souhait, une arche
splendide, toute de lyrisme et de profondeur. Un sans faute.
Christian COLOMBEAU