C'est
une production venue de Bordeaux qui nous était présentée
pour clore la saison nancéienne.
La mise en scène de Francesca
Zambello se veut plus évocatrice que descriptive, "nous avons créé
des décors qui donnent simplement une idée des lieux évoqués
par le livret" explique-t-elle. Effectivement, le plateau est dénudé,
incliné vers l'avant, orné d'un plancher en son centre et
ne comporte que des échelles grimpant vers les hauteurs. Si l'action
se trouve concentrée sur les errements psychologiques des personnages,
l'univers marin brille par son absence, et le décor évoque
davantage une usine qu'un bateau... Le dénuement s'accompagne cependant
de choix esthétiques des plus étranges : les personnages
du premier acte tirant - ou étant tirés ? - par des cordages,
bleus, qui descendent des cintres, ressemblent davantage à des sonneurs
de cloches qu'à des membres d'équipage manoeuvrant les voiles.
On retrouvera des cordages similaires pour le vaisseau fantôme -
ils sont alors d'un rouge fluo particulièrement disgracieux - ou
chez les fileuses qui, au lieu de filer, tiennent des cordages - d'un horrible
jaune canari - provenant des cintres... Que font-elles exactement avec
ces cordages, on n'arrive pas trop à le savoir... De même,
pourquoi Senta tient-elle un cadre vide, sans toile, alors que les allusions
au portrait sont nombreuses durant tout cet acte ? Sur le plan des incongruités
scéniques, on retiendra aussi le fait que les femmes, après
avoir appris le retour des hommes et exprimé dans un choeur leur
joie et leur impatience de les retrouver, s'asseyent tranquillement sur
des chaises et restent donc présentes durant toute la scène
entre Senta et le Hollandais. Ce sont incontestablement les éclairages
qui restent l'élément scénique le plus intéressant
de la production. Ils donnent aux "apparitions" du vaisseau fantôme
un relief indéniable, notamment pour le difficile dialogue entre
les deux équipages - norvégien et fantôme - du troisième
acte, rarement convaincant scéniquement. C'est pourtant le cas ici,
où la tempête qui secoue le navire hollandais et l'irruption
soudaine du choeur fantôme s'accompagnent d'es éclairages
latéraux et mobiles qui projettent des ombres mouvantes sur tout
le plateau. L'effet est saisissant et traduit réellement l'effroi
des Norvégiens.
Musicalement, la tempête sort
aussi de la fosse, où Sebastian Lang Lessing est déchaîné
à la tête d'un bon Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy
(mais les cors, si sollicités dans cette partition, ne sont pas
des plus sûrs). Cependant, les effets sont parfois un peu trop appuyés
et nuisent à la qualité d'ensemble. Les choeurs sont, à
nouveau, excellents, surtout les hommes.
La distribution, quant à elle,
ne laissera pas de grand souvenir. Le Daland d'Andrew Greenan est sympathique,
mais il semble rapidement à bout de voix. Ce n'est pas le cas de
Gabrielle-Maria Ronge (Senta), à l'organe puissant, mais qui tient
trop à le faire savoir. Les aigus sont hélas limités,
et ceux du duo avec le Hollandais sont particulièrement pénibles.
L'Erik de Michael Myers a le côté frustre qui convient bien
au personnage, mais les graves sont peu audibles. C'est le Hollandais de
Greer Grimsley qui marque le plus, tant par la richesse de son timbre de
baryton-basse que par son engagement scénique, mais outre les phrases
de son duo a capella de son duo avec Senta, un peu graves pour sa
tessiture, on aurait apprécié un chant un peu plus nuancé.
Pierre-Emmanuel Lephay