La leçon du "Maître
de musique"
Intégré à l'Opéra
National de Paris, le C.F.L. (Centre de Formation Lyrique) offre à
de jeunes chanteurs en début de carrière un enseignement
professionnel. Le recrutement a lieu au cours d'une audition annuelle -
en février 2004 pour la saison 2004-2005 - devant un jury désigné
par le directeur de l'Opéra avec des éliminatoires et une
finale non publique. Les stagiaires (âgés de 18 à 30
ans) reçoivent une rémunération mensuelle avec obligation
de service à l'Opéra de Paris pendant la formation qui dure
entre un et trois ans.
La direction du Centre Lyrique est
assurée par Anna Ringart. La directrice des études musicales
n'est autre que Janine Reiss, dont les conseils sont très appréciés
par les plus grands. Les élèves bénéficient
régulièrement de l'enseignement et des conseils d'artistes
invités pour des master classes. Pour clore la saison 2003-2004,
le maître d'oeuvre était le baryton belge José VAN
DAM.
Devant le public du Studio, l'artiste
écoute d'abord l'air présenté par le chanteur dans
son intégralité puis reprend avec lui les passages qui nécessitent
des corrections, livre quelques commentaires, parfois en plaisantant pour
gommer la tension inhérente à l'exercice, et n'hésite
jamais à chanter lui-même certaines phrases pour illustrer
son propos.
La première stagiaire, Edel
O'Brien, mezzo-soprano, présente d'abord La Prison de Gabriel
Fauré. José Van Dam insiste sur le placement des consonnes
et des voyelles qui donnent la couleur de la mélodie, sur la différenciation
des mots et leur indispensable liaison, ainsi que sur l'articulation qui
rend le chant piano plus audible. Dans Mandoline (Fauré toujours),
il met l'accent sur la signification du texte qu'il sous-titre lui-même
"commérages" et réclame plus de mollesse, de sous-entendus
et beaucoup de legato.
La soprano Kareen Durand propose une
mélodie d'Albert Roussel : Adieu . Le baryton reprend le
texte, très difficile à mettre en valeur et dont l'intelligibilité
exige plus de diction que de chant : plus la phrase est murmurée,
plus elle doit être comprise, indique Van Dam.
Plutôt baryton-basse, à
l'instar du maître, David Bizic entame un air de Sancho (Don Quichotte
de Massenet) avec une voix puissante et un beau phrasé. On surprend
Van Dam en train de vivre ce rôle malgré lui, de bouger les
lèvres, retenant son souffle et martelant le sol imperceptiblement,
avant d'offrir une brillante démonstration : de toute évidence,
le mépris doit être exprimé plus intensément
! L'élève se lance ensuite dans la redoutable Romance
à l'Etoile (Tannhäuser - Wagner). Tout semble présent
: la morbidezza, le timbre coloré sans excès. Il n'est
repris que sur la prononciation de l'allemand.
Au programme de la soprano Mary Elisabeth
Williams : deux Rückert Lieder (Mahler bien sûr). Dans
le premier, sa voix est assurée, mais un peu trop métallique.
José Van Dam lui explique que le chanteur ne doit pas accentuer
cette mélodie, déjà très décousue, mais
veiller à son tempo. Avec la complicité du célèbre
baryton, elle évite de forcer et signe une interprétation
nettement plus aboutie de Ich bin der welt abhanden gekommen, un
lied très flatteur pour la voix.
Enfin, Guillaume Antoine, basse, aborde
quant à lui le cinquième des Kindertotenlieder de
Mahler, In diesen wetter ("On les a pris, je n'ai rien pu dire"),
avec une voix un peu monolithique et quelques problèmes de souffle
. José Van Dam lui confie : "Quand je travaille une mélodie,
je lis et récite d'abord le texte avant d'aborder le chant". Il
l'aide ensuite à faire ressortir le côté dramatique
de la pièce par une juste accentuation.
La session s'achève avec le
duo "Me marier ..." du Don Quichotte (Massenet), réunissant
la mezzo-soprano Cornelia Oncioiu et Guillaume Antoine.
José Van Dam confessera qu'il
ne donne habituellement pas de master class, mais qu'il a fait une
exception par fidélité à l'Opéra de Paris.
Ce choix nous semble regrettable pour bon nombre de chanteurs, débutants
ou confirmés... Qui mieux que lui, à l'heure actuelle, peut
démontrer l'importance de l'intelligence des textes, de l'articulation
expressive, des demi-teintes, du legato ? On se souvient, parmi
tant d'autres exemples, d'une interprétation unanimement saluée
de Philippe II dans la version française de Don Carlos au
Châtelet. A soixante-quatre ans, il continue de se produire sur scène
: cette saison, il sera Don Pasquale au Teatro Real en mars, Massimiliano
de I' Masnadieri à La Monnaie en avril et endossera
les quatre rôles des Contes d'Hoffmann (mis en scène
de Jérôme Savary) à Paris-Bercy en mai.
E.G. SOUQUET