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NANCY
28/04/06
© Opéra de Nancy
Henry DESMAREST (1661-1741)
Vénus et Adonis
Tragédie en cinq actes et un Prologue dédiée à Louis XIV
Livret de Jean-Baptiste Rousseau
d’après Les Métamorphoses d’Ovide
Créé le 17 mars 1697 à l’Académie Royale de Musique de Paris
Edition scientifique réalisée par Jean Duron,
éditée par le Centre de Musique Baroque de Versailles
Direction musicale: Christophe Rousset
Mise en scène – Ludivic Lagarde
Chorégraphie – Odile Duboc
Décors – Bernard Quesniaux
Costumes – Virginie et Jean-Jacques Weil
Lumières – Sébastien Michaud
Etudes musicales – Violaine Cochard
Dramaturgie – Pierre Kuentz
Assistant mise en scène – Jean Daniel Senesi
Assistant lumières – Pierre Martigue
Vénus – Karine Deshayes
Adonis – Sébastien Droy
Cidippe – Anna-Maria Panzarella
Mars – Henk Neven
Bellone, Voix II – Ingrid Perruche
Une Habitante de Chypre, Voix I – Laure Baert
Une Habitante de Chypre, une Nymphe – Yu Ree Jang
Un Suivant de Mars – Ryland Angel
Un Habitant, un Plaisir - Anders Dahlin
La Jalousie, un Habitant – Jean Teitgen
Danseurs – Evguenia Chtchelkova, Bruno Danjoux,
Céline Debyser, Max Fossati, Stefany Ganachaud,
Yvan Raballan, Françoise Rognerud
Chœurs de l'Opéra de Nancy et de Lorraine
(direction Merion Powell)
Les Talens Lyriques
Nouvelle production - Recréation
Nancy, 28 avril 2006
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La recréation de Vénus et Adonis
du Lorrain d’adoption Henry Desmarets est l’un des
évènements de la saison nancéenne, et bien dans la
ligne d’une programmation qui sait emprunter des chemins peu
fréquentés. En témoigne l’affluence de
« beau monde » pour la première du 28
avril.
Pérégrinations
Le premier héros de la soirée est donc Desmarest, parfois
surnommé « le petit Marais », dont on
connaît désormais bien les grands motets, moins les
compositions lyriques. Page de la Chapelle du Roi, talentueux, Henry
Desmarest démarre une carrière prometteuse sous la
bienveillance de Delalande, qui a remplacé Lully,
décédé, à la musique du Roi. Sont
créées Didon, Circé, Théagène et
Cariclée, Les Amours de Momus. Mais en 1697, à la suite
du décès de sa femme, Desmarest s’entiche
sérieusement de l’une de ses élèves,
Marie-Marguerite de Saint-Gobert, au point de lui promettre le mariage,
de l’engrosser d’un fils qui mourra en bas âge, et,
sans attendre le résultat du procès que lui intente le
père, d’enlever la belle – puis l’aventure
devient plus calme, qui voit les amants unis par le mariage jusqu'au
décès de Marie-Marguerite en 1727. Condamnation à
être pendu, en effigie qu’on se rassure, fuite en Espagne,
puis, après la dissolution par Philippe V de la troupe de
musiciens français, en Lorraine, où Stanislas le nomme
surintendant de la musique. Les lorrains d’aujourd’hui ont
tout lieu de chérir Desmarest, qui inaugura en 1709
l’opéra de Nancy (avec Astrée), y créa
quelques opéras ponctuant les musiques de cour de
Lunéville, et mourut dans ce même château de
Lunéville, fidèle à ses hôtes malgré
la levée des condamnations lui interdisant Paris.
Une partition bien défendue
Vénus et Adonis est composé en pleine tourmente due aux
amours illicites du jeune Desmarest, et l’on devine sans peine ce
qui l’inspira dans le beau duo de Vénus et Adonis à
l’acte II. C’est à Christophe Rousset que Laurent
Spielmann a confié la partition, préalablement
restituée par Jean Duron. Les Talens Lyriques sont en plein
forme, le continuo très (trop ?) présent et actif,
la direction de Rousset toujours aussi précise et analytique
envers des troupes d’une ductilité magnifique.
L’attention à l’équilibre interne des
timbres, mais aussi à celle du plateau et de la fosse, est
constante. Mais ce pointillisme a ses revers : on aurait
souhaité par moments moins de prudence, plus d’influx, de
dynamiques, de rythme. Quant à la partition, si elle
n’égale pas dans son ensemble les plus belles pages de
Lully ou Rameau, elle recèle des moments magnifiques, comme le
duo de Vénus et Adonis au début de l’acte II,
conversation intime et séductrice parée dans des atours
élégants ; ou encore les cinq airs sur une longue
basse de passacaille du début de l’acte IV ; ou
encore le récitatif accompagné tourmenté de
Cidippe, « Il me fuit ! Dieux ! Quelle
rigueur ! » à l’acte V.
Des Dieux relativement divins
Plateau vocal féminin superlatif. Karine Deshayes incarne
idéalement la pulpeuse Vénus. Timbre rond,
sincérité magnifique, elle semble un peu contrainte au
début, puis se libère somptueusement à partir de
l’acte II. Anna-Maria Panzarella construit de Cidippe un portrait
riche et touchant, agaçante au départ par ses plaintes
mondaines, puis de plus en plus humaine, violente et tragique, timbre
très personnel, intonation et diction d’une
stupéfiante précision. Notable Ingrid Perruche,
chichement distribuée, dans le court rôle de Bellone,
élocution d’un naturel confondant. Du côté
masculin, on est plus convaincu par la Jalousie diabolique de Jean
Teitgen que par le Mars construit mais peu puissant du baryton Henk
Neven. Mais c’est le – beau – ténor
Sébastien Droy qui, fidèle à son rôle,
séduit le plus, et pas seulement par sa plastique : le
timbre est d’une belle richesse. Mention particulière pour
des seconds rôles investis et remarquablement
caractérisés, notamment le duo féminin de Laure
Baert et Yu Ree Jang (quelle qualité de diction pour cette
dernière !). Très sollicités, les danseurs
évoluent sur une chorégraphie intemporelle de Odile
Duboc, toute de frôlements et d’enroulements sensuels.
Vénus chez les Hippies
On sera moins enclin à la louange pour la mise en scène.
Les longs moments d’intermèdes laissent les chanteurs un
peu esseulés, les chœurs notamment à qui, dans
leurs longs voiles (ou pyjamas ?), il ne manquerait guère
qu’un joint pour rejoindre illico un sérail hippie.
D’autant plus dommage que leurs interventions sont
particulièrement réussies vocalement. Ludovic Lagarde
crée des ambiances colorées, soigne l’allusif,
ouvre le plateau sur une penderie aux tons indiens (mauve, rose)
soigneusement dégradés. Problème : ça
ramollit la musique ; ça noie l’ouvrage dans une eau
de roses alanguie que vient contredire le rouge Betty Boop de
Vénus. Puis – Hollywood oblige – arrive Groucho
Marx, je veux dire la Jalousie, et sa troupe d’automates aux
sourcils épais, et costards de mafieux. Que viennent contredire
à leur tour les costards blancs immaculés de Mars et de
ses séides. Champignons et méduses que l’on suppose
venimeuses, chiches paillettes tombant du ciel, Vénus jouant
à la pin-up Canal+ sur un champignon bleu-vert, caillou crachant
un pet de vapeur… Commando cagoulé d’un goût
douteux, ralenti cinématographique sur fond de
karaté…. Deux gros yeux globuleux façon Tex
Avery… Dans tout ce kitsch au mieux drôle, au pire
ridicule, on ne voit pas très bien où veut en venir
Lagarde : Distanciation ou pas ? L’œuvre se
prête-t-elle vraiment à la parodie ? On en doute, en
tout cas la partition lutte constamment contre ce choix. Et le simple
fait de se poser la question y répond : si parodie il y a,
elle ne fait pas rire, si premier degré il y a, il est
grotesque. La sensualité des chanteurs et de l’orchestre
nous semble une meilleure lecture.
Sophie Roughol
A lire : Venus & Adonis, livret, études et commentaires,
textes réunis par Jean Duron et Yves Ferraton, éd.
Mardaga / Centre de Musique Baroque de Versailles.ISBN 2-87009-920-7.
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