L'héritière
la plus canaille de l'histoire de l'opérette méritait bien
une nouvelle production. Marseille et Bordeaux se sont donc mis à
la tache et le résultat est fort sympathique. Débarrassée
des scories d'une certaine tradition, confiée à des chanteurs
acteurs rompus à ce genre de répertoire, le succès
ne pouvait être qu'à la clef et le public marseillais n'a
pas hésité à clamer sa satisfaction au rideau final.
Les jolis décors d'Emmanuelle
Favre et la mise en scène alerte à défaut d'être
inventive de Charles Roubaud contribuent largement à la qualité
de ce bon spectacle qu'on aurait aimé voir pour les Fêtes
de Fin d'Année.
Rien de bien révolutionnaire
donc sur la scène phocéenne mais La Veuve Joyeuse
n'a rien à faire d'inutiles transpositions. Spectaculaire sera alors
le dernier acte avec son immense seau à champagne, sa bouteille
et le cancan endiablé et acrobatique !
Ceci dit, il est quand même plusieurs
manières d'aborder Missia Palmieri : riche gouailleuse en quête
d'un vieux beau ? Blonde platine style Jeannette Mac Donald ? Mélancolique
et sensible créature richissime mourrant d'ennui ? Un peu des trois
à la fois peut-être...
Danielle Streiff fait une entrée
fort sage et musicalement timide mais sa beauté physique justifie
pleinement l'engouement de ses nombreux courtisans. Le premier acte aura
toutefois du mal à "décoller" malgré la présence
et surtout la voix de bronze du Danilo de Jean-François Lapointe
(hier encore Valentin à Monte-Carlo) qui donne à son premier
air un poids et un esprit inattendus. Voici un attaché d'ambassade,
non point dégénéré (habituel), à la
présence physique et vocale incontestable !
Dès le début du deuxième
acte, les choses changent. Avec son approche d'une inouïe délicatesse
du Vilja-Lied, Danielle Streiff fait un malheur. Cette caressante
mélodie à la suavité racoleuse devient ainsi le frontispice
d'une sensibilité réelle et émouvante. La note aiguë
finale est amenée en douceur, trahit l'émoi, non l'effort.
Dès cet instant, la jolie dame aux cinquante millions gagne notre
coeur.
La deuxième dame de la distribution
sait trouver le juste milieu entre élégance et encanaillement.
Eveil de la sensualité chez cette mondaine, possible rivale de Missia
?
Vrai ténor d'opérette,
Marc Laho laisse ses Bellini ou autres Strauss au vestiaire pour chanter
un Camille de Coutançon benêt et claironnant.
Rien à redire sur le quintette
des "bouffons" de service. Jacques Lemaire (Lérida) et Patrick Rocca
(Popoff) croquent de forts plaisants nigauds avec une diction irréprochable.
La baguette pondérée
de Dominique Trottein crée aussi un spectacle équilibré.
Passant avec un égal talent du grand répertoire à
l'opérette viennoise traditionnelle, tel un spécialiste du
musical,
Trottein livre un discours musical très fluide pour deux heures
de bonheur qui passent comme une lettre à la poste.
Christian COLOMBEAU