La soirée du 6 juillet fait
partie des quelques soirées qui marquent longtemps les mélomanes.
Le triomphe d'une troupe sans aucun maillon faible a été
absolu.
Le festival Mozart/Rossini terminait
cette année avec une reprise de la production 2000 du Viaggio.
Lorenza Codignola a prévu un décor unique, peuplé
de lits, transformant la scène en une sorte de dortoir désordonné.
Elle a conçu également les costumes d'époque pour
les solistes. Les choristes sont habillés en infirmièr(e)s.
Les couleurs sont variées, l'ensemble ne crée pas de surprise
majeure. C'est évidemment le plateau vocal qui intéresse
ici, puisque l'intrigue est limitée et que cet opéra est
plutôt une cantate dans laquelle les chanteurs viennent faire leur
numéro à tour de rôle.
Alberto Zedda dirige avec l'amour qu'on
lui connaît pour cette musique. Le seul reproche concerne l'équilibre
entre la fosse et la scène : l'orchestre joue parfois un peu fort
et on aurait aimé que le crescendo de certains "finales"
commençât vraiment piano, pour mieux jouer sur les
contrastes. Mais l'orchestre était brillant et la flûtiste
solo
jouant sur scène en costume, pendant l'air de Lord Sidney, remarquable.
La première à faire
forte impression est la très jeune Madama Cortese de Mariela Cantarero,
lancée tout récemment dans une carrière météore.
La voix est souple, les aigus généreux (plusieurs contre
ré), un rien acides. Le couple Blake/Podles est rodé: ils
semblent deux compères heureux de se retrouver et de nous faire
rire. Blake époustoufle non pas par la voix qui a perdu en projection,
mais par une technique unique. On en venait à regretter d'attendre
si longtemps (après l'entracte) son duo avec Podles. Podles nous
gratifie de ses graves phénoménaux, de sa virtuosité
et de sa joie de chanter en ne se prenant pas au sérieux, surtout
quand Blake la fait basculer sur le lit. Charles Workman était en
meilleure forme que ses dernières interventions espagnoles (Madrid
et Barcelone); il n'a craqué aucun aigu, chose qu'on avait trop
entendue chez lui ces derniers temps. Son duo avec Corinna fut donc un
point fort de la soirée. Cinzia Forte chantait justement la poétesse
sans gêne, malgré la difficulté de ses airs fortement
exposés avec l'accompagnement de harpe.
Maria José Moreno chantait l'air
connu aussi par le Comte Ory. La voix est belle du grave à l'aigu,
les variations intéressantes dans les reprises et le contre mi bémol
en place. Un beau succès personnel. Umberto Chiummo ne démérite
pas, mais semble un peu bousculé dans les vocalises rapides. Marco
de Felice a conquis le public, notamment dans ses imitations de citoyens
européens aux accents différents. Le Don Alvaro de Josep
Miquel Ramón, malgré un rôle court, a eu le temps de
se mettre le public dans la poche : il faut préciser qu'il représentait
l'Espagnol devant ses concitoyens ! Le reste de la distribution n'appelle
aucun reproche et les ensembles étaient parfaitement en place; le
passage a capella du premier grand ensemble d'une parfaite
justesse. Le finale ultimo, plus solennel, s'est conclu par l'unisson
des trois contre ré des sopranos et le délire du public.
Une soirée mémorable.
Valéry Fleurquin