Un
Viaggio réussi !
Depuis sa résurrection en 1984
au Festival de Pesaro, Il Viaggio a Reims est désormais entré
définitivement au répertoire de toute Maison d'opéra
qui se respecte.
Il est vrai que le style propre de
l'ouvrage reste à définir : mi-opéra, mi-cantate composée
à la mesure vocale du gotha lyrique de l'époque, le livret
insipide (insignifiant ?) distribue dix sept rôles solistes dans
grosso modo dix sept morceaux de bravoure plombés de cette virtuosité
dont le compositeur avait le secret.
L'anecdote, d'enregistrements audios
en captations vidéos planétaires est connue : une poignée
d'aristocrates venus des quatre coins du continent veulent assister à
un couronnement royal qui finalement n'aura pas lieu.
Suite à une panne de diligence,
tout ce beau linge se retrouve dans un établissement thermal (auberge
espagnole avant la lettre ?) et là, sur des thèmes empruntés
au Barbier de Séville, réchauffés ensuite pour
Le Comte Ory, secrets d'alcôves, intrigues et flirts de passage
vont faire révéler à chacun le secret de ses origines,
entre hommage obligé aux diverses nations comme un appel à
la future Europe...
Sur un ton goguenard, malicieux, plein
de clins d'oeil, l'équipe entière décide alors de
fêter le couronnement à sa manière, selon les coutumes
de son propre pays.
Une anthologie donc dans le goût
de l'époque, avec glorification obligée de la France (ou
adieu à l'Italie ?), le pompon du kitsch étant enlevé
par une certaine "improvisatrice" Corinne, tout droit sortie de la plume
de l'ultra Madame de Staël...
Au final, un feu d'artifices sur un
morceau à quatorze voix faisant festoyer malgré eux les curistes
à la santé du nouveau Prince monégasque ! Joli hommage.
Avec ce chic qui n'appartient qu'à
lui Pier-Luigi Pizzi nous convie a une fête de tous les instants.
Son décor et ses chatoyants costumes sont un régal pour les
yeux et sa mise en scène, sans un temps mort, fourmille d'idées
(les baignoires à roulettes d'où émerge un Adonis
nu comme un vert - gratuit certes mais désopilant ! -) et de malices
réglées... Il y a du Feydeau et du Labiche avant l'heure
dans ce chassé-croisé de personnages-archétypes !
C'est léger, charmant, spirituel,
luxueux, poétique même. L'opéra tel qu'il devrait toujours
être, sans transposition, sans gadgets. Dans le pur respect de la
partition et du compositeur. Un bonheur constant que Pizzi arrive à
transmettre à ses chanteurs, qui, véritables bêtes
de scène, sortant de leur gong, entraînent orchestre et public
dans un vivifiant tourbillon de chant, musique et théâtre
!
Dans cette oeuvre qui finalement tient
du défi et où chacun vient pousser sa vocalise (un peu comme
dans la Fledermaus) il faut une distribution de Primo Cartello.
A Monte-Carlo elle tient ses promesses.
Les stars du bel canto rossinien sont toujours au sommet.
Une fois dit que Ruggero Raimondi dans
un rôle rabâché racle les fonds de tiroir avec une intelligence
diabolique (son air du catalogue reste volubile à souhait mais trop
feutré) nous nous inclinerons devant les prestations des vétérans
Anderson (à l'aigu percutant et fier), Blake et Gimenez (électrisants
à leur manière).
Chapeau bas également, respect,
devant tant d'élégance, de science même si le matériau
vocal accuse ça et là des ans l'irréparable outrage.
La vieille garde tient bon, mais la relève est là de toute
façon.
Inva Mula dessine une Corinne de rêve,
de classe, raffinée à l'extrême avec son legato extasié
dans ses airs à la ligne toute bellinienne.
Patrizia Ciofi réveille en Comtesse
de Folleville la mozartienne racée que nous connaissons bien. Sara
Mingardo enfin campe une Marquise aux graves aisées et à
la vocalisation parfaite.
Les deux dernières basses bouffe
ne deméritent pas. On retrouve dans le Lord Sydney de Marco Vinco
(plus british que nature) le luxe vocal du plus connu titulaire du rôle.
En Baron de Trombonok plein d'aplomb
et de superbe ridicule, Filippo Morace achève de nous séduire.
Très bien placés aussi les autoritaires Don Alvaro et Prudenzio
(Manuel Lanza et Balint Szabo) à la vis comica irrésistible.
Pour que la sauce prenne, que l'action
conserve sa primauté, il faut dans la fosse un vrai panache. Maurizio
Benini donne avec brio des couleurs , des sonorités, des rythmes
différents (on passe de Bellini à Mozart avec éclat
et finesse) à chacune des situations d'une partition complexe qui
ressemble surtout à un Quiz musical ou un Puzzle qui trouvait dans
l'écrin lumineux d'une Salle Garnier rénovée, brillant
de ses mille feux, sa place exacte.
Christian COLOMBEAU