Viva l'Opéra (Comique)
est un noble projet : il s'agit de confier à un auteur talentueux
(Benoît Duteurtre) l'écriture d'une pièce censée
mettre en lumière les grandeurs de l'institution que fut l'Opéra
Comique. Malheureusement, l'échec de ce projet réside dans
l'utilisation du passé simple : l'Opéra Comique fut grand,
certes, mais que reste-t-il aujourd'hui de cette grandeur ? Pas grand-chose.
Jérôme Savary a fait de Favart le terrain de jeu de ses facéties
; celles-ci se déclinent sur le mode de la lourdeur et de la grivoiserie.
Il n'y a en effet plus grand monde pour s'amuser de secrétaires
auxquelles on pince les fesses. Bref, inutile de faire un nouveau procès
à Savary qui - de toute manière - comparaît souvent
et s'en tire toujours.
Voilà donc une pièce
qui avant tout ne présente pas un vaste intérêt littéraire.
On y croise un fantôme, une diva caricaturale, une bimbo et
deux homos. Ce qui pourrait être la base d'une bonne comédie
de boulevard n'est au fond qu'un prétexte pour enchaîner des
airs connus et moins connus. On sourit beaucoup, certes, mais on doit ce
plaisir aux chanteurs et à la mise en scène plus qu'au texte.
Sa lecture, sans support auditif et visuel, est une aventure que je déconseille
aux fans de Duteurtre. Mais parlons un peu de l'intrigue : un fantôme
hante l'opéra Comique, il s'y est lié d'amitié avec
un corniste (Trempont), aujourd'hui retraité qui s'apprête
à participer à une sorte de réunion peur jeunes intellos
ayant pour thème l'opéra comique. Nos jeunes intellos sont
Martin, parisien légèrement hype (Lalouette), Manon,
sa cousine de province arrivée dans la capitale pour entrer à
la Star Ac (Devellereau) ; Anne-Thérèse, la prétendante
éconduite de Martin (Bove), et pour cause : celui-ci préfère
le charme particulier du jeune ténor Jimmy (Emerson). Cerise sur
la gâteau, une vieille diva moldovalaque (Lagrange), prof de chant
du ténor, s'incruste dans la réunion et assomme les illustres
invités de ses souvenirs de scène. Bof ? Oui !
Au fur et à mesure que l'intrigue
progresse, des airs d'opéras sont insérés - parfois
avec bonheur -, laissant à la discrétion des chanteurs le
soin de les interpréter sans trop de casse. On découvre avec
joie des pièces rares d'Adam, de Grétry et un extrait franchement
rasoir du Devin du Village, unique opéra de Jean-Jacques
Rousseau (auquel on saura gré d'avoir privilégié ses
talents d'auteur). Des airs plus connus ainsi que des "tubes" sont également
au programme, notamment la fameuse Barcarolle des Contes d'Hoffmann
(ma voisine, une charmante octogénaire barbue et poitrinaire, m'assura
avec un aplomb formidable que la Barcarolle était l'oeuvre de Franz
Lehar).
Le casting vocal est pour le moins
déséquilibré. D'une part, de talentueux chanteurs
d'opéra font ce qu'ils peuvent pour être acteurs (avec succès),
d'autre part, des acteurs plutôt moyens font ce qu'ils peuvent pour
être chanteurs (avec un peu moins de succès). Olivier Lallouette
fait un sympathique homosexuel balladurien qui écoute des disques
de cire sur son gramophone, on le trouvera particulièrement à
son aise dans le monologue d'entrée de Golaud (accompagné
au piano). Agnès Bove, sa prétendante, use d'une voix de
crécelle et d'un jeu à la limite de la caricature pour venir
à bout de ses interventions. Les moments de silence qu'elle nous
offre - avec parcimonie - sont autant de petits havres de paix auxquels
on s'accroche avec l'énergie du désespoir. Le ténor
Emerson est une énigme ; fantaisiste plus que chanteur, il parvient
tout de même à nous sortir un joli petit contre-ré
tout coquet, pas très audible, certes, mais c'est l'intention qui
compte. Il campe lui aussi un homosexuel très crédible, quoique
résolument moins balladurien.
Le trio de tête est donc constitué,
dans le désordre, de Michèle Lagrange, de Marie Devellereau
et de Michel Trempont. Celui-ci se paie le luxe de chanter, d'entrée
de jeu et malgré son grand âge, l'air de Figaro du Barbier
de Séville avec un aplomb confondant dans les aigus. Un peu
court de souffle (le spectacle est joué cinq fois par semaine -
encore une grande idée de Savary ?) il n'en est pas moins impressionnant.
"Respect" comme disent nos amis les jeunes. Marie Devellereau, quant à
elle, use des qualités qui font son succès : musicalité,
jeu désopilant et aigus percutants. Son duo de Lakmé
nous fait regretter qu'elle ne s'essaie pas, une fois encore, à
l'héroïne au teint hâlé. Enfin, Michèle
Lagrange est sans nul doute la star de la soirée, elle campe une
diva grotesque, sosie d'Edita Gruberova. La chanteuse joue à fond
la carte de l'accent de l'Est et nous offre quelques beaux moments d'humour.
Elle se paiera aussi le luxe d'avoir un trou de mémoire dans la
Habanera de Carmen, air dont tout le monde connaît les paroles.
Elle en sortira hilare.
Le metteur en scène Robert Fortune
fait ce qu'il peut d'un tel texte et l'Orchestre Ostinato, constitué
de jeunes talents, ne démérite pas.
Encore une fois, avec une telle équipe
et dans un tel lieu, il aurait été possible d'offrir au public
un meilleur spectacle, mais comme celui-ci s'en va ravi et chantonnant,
la critique n'a plus qu'à ravaler sa langue. Dont acte.
Hélène
MANTE