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07 & 08/06/03
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CITÉ DE LA MUSIQUE Paris, concerts des 7 et 8 Juin 2003
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CES VOIX CHAUDES VENUES DU FROID... On le sait, la Suède est le pays des choeurs : un Suédois sur dix fait partie d'un ensemble vocal ou d'une chorale. Rien d'étonnant par conséquent, à ce que "le" plus grand chef de choeur du monde, Eric Ericson, aujourd'hui âgé de quatre-vingt cinq ans, soit suédois et que son ensemble, le Eric Ericson Kammarkör, fondé en 1945, soit probablement le meilleur au niveau international. On sait aussi que de nombreux chanteurs parmi les plus célèbres viennent de Suède : Birgit Nilsson, Nicolaï Gedda, Elisabeth Söderström, Jussi Björling, Gösta Winbergh, Anne-Sofie von Otter, Hillevi Martinpelto, Miah Persson, Hakan Hackegard, Katarina Karneus, Peter Mattei, pour ne citer que ceux-là, et que certains d'entre eux ont fait partie d'ensembles vocaux, comme par exemple Anne-Sofie von Otter, qui a travaillé avec Eric Ericson. On peut s'interroger sur les causes du "miracle vocal suédois" : sans doute, en premier lieu, une tradition religieuse très forte, que l'on retrouve par ailleurs en Allemagne et en Angleterre, mais surtout une volonté affirmée d'inscrire la formation musicale dans une perspective de continuité. La Suède était donc à l'honneur à travers deux de ses ensembles prestigieux, ses compositeurs et sa musique traditionnelle, lors de la première Biennale d'Art Vocal qui eut lieu à la Cité de la Musique du 2 au 8 juin dernier, à laquelle participaient également le RIAS Kammerchor (Allemagne), The Sixteen (Grande Bretagne), Le Poème Harmonique (Vincent Dumestre), le Huelgas Ensemble (Paul van Mevel) et Les Eléments (Joël Suhubiette) et d'autres encore. Cette manifestation, qui comportait de nombreux concerts, des masterclasses et tables rondes, avait pour maître díoeuvre Laurence Equilbey, directrice d'Accentus ainsi que du Jeune Choeur de Paris (fondés respectivement en 1991 et 1995) et formée, ce n'est pas un hasard, par Eric Ericson lui-même auprès de qui elle étudia à Stockholm. La France qui ne possède pas
une réelle tradition dans ce domaine, a vu cependant son paysage
choral se modifier peu à peu, dans un premier temps en 1981, grâce
aux mesures prises par Jack Lang en en faveur des ensembles vocaux, alors
tout nouveau ministre de la Culture et Maurice Fleuret, son directeur de
la Musique. Ce processus, dont on récolte les fruits aujourd'hui,
a trouvé tout naturellement sa continuation dans le travail exemplaire
mené par Laurence Equilbey.
Les voix du Jeune Choeur de Paris sont belles, fraîches, principalement celles des femmes, un peu hésitantes parfois - surtout au début - et les solistes plutôt inégaux, en particulier le baryton Mathieu Heim, qui a des problèmes vocaux dont le trac est sans doute en partie responsable. C'était sans aucun doute une gageure pour ces jeunes chanteurs en cours de formation d'être confrontés à un ensemble d'un aussi haut niveauÖ Le répertoire choisi pour cette première partie était constitué exclusivement díoeuvres suédoises, majoritairement contemporaines, parmi lesquelles on remarque Psychotropes de Jonas Bohlin (né en 1963), fruit d'une commande du Rikskonserter (Institut National des Concerts) de Stockholm. Cette oeuvre remplie d'humour consiste en une longue et amusante énumération, sous forme de psalmodie, d'un nombre impressionnant d'anti-dépresseurs : Noctalon, Lexomil, Prozac, etc. Pour terminer sur une note plus légère, un air du folklore suédois très connu, Là-bas dans le pré, fut donné en bis. Si pour le Jeune Choeur de Paris, la règle du jeu avait été de se cantonner au répertoire suédois, le programme choisi par le célébrissime Eric Ericson Kammarkör, dirigé par le maître lui-même, et consacré à l'Italie et à la Russie, avait un caractère plus international. On retiendra plus particulièrement, les due cori di Michelangelo mis en musique par Luigi Dallapicola, empreints d'un humour dévastateur, où il est question des hommes et des femmes mal mariés, les Trois poèmes révolutionnaires de Chostakovitch et les Quatre chants de paysans russes de Stavinsky. Le concert se conclut également, en bis, par un chant traditionnel suédois. Le Choeur de chambre Eric Ericson possède une précision et une homogénéité extraordinaires. Les voix sont instrumentales, pures et rondes, d'une absolue musicalité, quasiment "abstraites". Il est vrai que cette perfection est l'aboutissement de plusieurs années de tradition et de travail acharné. Ce résultat époustouflant, qui semble aller de soi, permet aussi de comprendre ce qui distingue, tant du point de vue culturel que musical, les traditions vocales nordique et française. Donnons la parole à Laurence Equilbey : "La France a eu des ensembles de solistes, comme le Groupe Vocal de France, plutôt que des choeurs de chambre. Ici, on aime le répertoire à un chanteur par voix, c'est une musique individualisée dans laquelle la dramaturgie est très présente, c'est une culture. Le choeur de chambre est plus abstrait, c'est de la poésie pure, une évocation. On est moins enclin à utiliser ces instruments qui dessinent des paysages, des atmosphères. Mais on y vient. Le goût du public s'est développé pour ces fresques de son". Pour compléter ce portrait de la tradition chorale suédoise, le concert du lendemain, donné par le "Adolf Fredericksen Flickkör" dirigé par Bosse Johansson et fondé en 1973, allait en démontrer de manière éclatante la remarquable continuité. Cet ensemble, formé de quarante jeunes filles âgées de douze à seize ans, issues de l'Ecole de Musique portant le même nom, très réputée en Suède est l'un des choeurs de jeunes les plus reconnus au monde. Il a d'ailleurs été élu en 2001 "Choeur de la Fédération européenne et Ambassadeur culturel", un rôle qu'il est amené à jouer jusqu'en 2004. Le programme proposé est consacré à des créations de compositeurs suédois des XXème et XXIème siècles et à des chants traditionnels. Les voix sont d'une précision cristalline et promettent la qualité poétique qui s'épanouit de manière éblouissante chez leurs illustres aînés. Quelques morceaux sont accompagnés au piano par l'excellent Magnus Svensson, d'autres chantés a capella, et certains même sans la direction attentive et bienveillante de Bosse Johansson, les jeunes filles se dirigeant alors pratiquement elles-mêmes. Vêtues d'une tenue qui s'inspire
fort joliment du costume traditionnel suédois revisité par
une certaine modernité, ces jeunes choristes qui esquissent parfois
des pas de danse, font preuve d'une discipline parfaite et d'une grande
musicalité. Il est vrai que dans leur pays, le travail choral, loin
d'être un art mineur, constitue un sérieux tremplin pour une
éventuelle carrière de soliste.
Juliette Buch
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