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28/01/04
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Monique Zanetti, soprano
Sinfonietta de Lausanne
Nicolas Chalvin, direction Opéra de Lausanne
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Le Sinfonietta de Lausanne n'est pas le meilleur ensemble romand sauf qu'il est souvent capable de l'excellence. L'autre soir, quoi que jouant avec application, la sauce ne prenait pas. Une étrange atmosphère semblait l'empêcher de s'exprimer. A la baguette, le chef français Nicolas Chalvin ne ménageait pas ses efforts pour lui donner rondeur et chaleur. Après le hors-d'oeuvre musical d'une Petite Suite de Claude Debussy, pièce pour piano à quatre mains orchestrée par le chef d'orchestre Henri Büsser et assez rarement jouée, le programme annonçait Huit chansons sur d'anciens thèmes populaires du compositeur napolitain Mario Pilati (1903-1938). Remise sur le devant de la scène par sa fille, la musique de Pilati s'inscrit dans la lignée de ses contemporains, Respighi ou Malipiero. Napolitain de coeur et d'esprit, ses Echi di Napoli reflètent bien la légèreté des tarentelles et autres ritournelles traditionnelles de Naples. Dans ces cantilènes tantôt enjouées, tantôt langoureuses, la voix de la jeune soprano Monique Zanetti se montre quelque peu hésitante, peu puissante, mais chargée de belles harmoniques. Entamant son récital avec Riccio, riccio, ricciolà, la chanteuse brandit un cahier à bout de bras. Elle le tient à deux mains devant elle et la mélodie étant allègre, le tempo vif, chacun imagine le geste comme une mise en scène. Mais, dans O Vinco, le cahier est posé sur un énorme lutrin qui dérobera le visage de la chanteuse aux yeux des spectateurs du parterre. Les autres romances émergeront de derrière ce paravent de bois noir... Avec cette voix sans visage, comment apprécier les qualités de projection, le timbre, les intentions interprétatives ? C'est donc dans la plus totale frustration de l'auditoire que Monique Zanetti fait place à Elodie Méchain. Sur des mélodies d'Henri Duparc, la voix d'airain admirablement conduite de la contralto française fascine. Dans Extase, elle nous gratifie d'un "souffle de la bien aimée" d'une rare sensibilité. Malheureusement, comme sa compagne de scène, Elodie Méchain disparaît bientôt derrière le rectangle noir du monstrueux lutrin. Pour le spectateur, seules les ondulations de sa robe de taffetas rouge et les quelques apparitions du haut de son front habillent sa prestation. Une impression d'absence qui dissuade quiconque de s'intéresser à la beauté du chant. Dans La Demoiselle Elue de Debussy, les "deux écrans noirs" consacrent le désarroi du public. Ne reste que le spectacle du Sinfonietta de Lausanne dont, fort heureusement, le bel équilibre des pupitres confère à l'oeuvre debussyenne des couleurs extrêmement touchantes. Après cet déroutant jeu de cache-cache de solistes que le public était non seulement venu écouter, mais également voir, les applaudissements sont tout au plus polis. Il aura suffi de deux brefs rappels de courtoisie pour que Nicolas Chalvin annonce une "surprise" préparée à l'attention des spectateurs. La scène débarrassée des "lutrins-écrans", les deux cantatrices entonnent Le nocturne extrait de Béatrice et Bénédict d'Hector Berlioz. Cette réminiscence de leur prestation à l'Opéra de Lausanne en 2001 agit comme par magie. La complicité des deux chanteuses refait surface. C'est alors un moment suspendu de grâce, de pur bonheur et d'intense émotion. Transformé, l'orchestre enveloppe le chant. Les dernières notes mangées par le silence, le public réservera un triomphe à ces instants magiques. A l'issue de ce concert, somme toute
décevant, les commentaires vont bon train. Ils sont quasiment unanimes
pour reconnaître qu'enfin libérées d'un récital
mal préparé (sinon quel besoin d'avoir la partition sous
les yeux ?), les deux femmes ont pu prendre l'exacte mesure de leur chant.
Ce recours à la partition tend à se généraliser
sans que le public n'ose s'en plaindre. Quel intérêt le spectateur
peut-il donc trouver à assister à un concert si le musicien
n'accepte plus de prendre les risques que lui impose la carrière
d'artiste et en l'occurrence le récital ? Un acteur de théâtre
se présente-t-il sur scène avec le texte de son rôle
entre les mains ?
Jacques SCHMITT
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