Wagner
versus Brahms, c'est un peu le mythique combat des chefs que l'on
rejoue sur la scène lyonnaise. Passons sur le second maître,
"seulement" symphonique ici et qui n'aura donc pas les honneurs de ces
colonnes lyriques.
Lyrique, Wagner l'est lui doublement
au fil de ce programme, opératique évidemment, plus strictement
mélodiste même. C'est que Krivine a trouvé face à
l'orchestre de l'opéra la "clé des chants", ouvrant la boîte
de Pandore et révélant à son auditoire le maître
de Bayreuth comme on l'entend rarement. Car quel prélude de Parsifal
ma foi ! Innervé de murmures de cordes, parcouru de poudroiements
de vents, soulevé (malgré quelques accrochages) de tempêtes
de cuivres, le morceau est passé comme un rêve, fluide, humain
plus que profondément mystique, fouillé pourtant dans ses
moindres recoins harmoniques, intensément vécu, à
l'échelle de l'orchestre (ça s'entend) comme du public (ça
se sent). Même pâte dégraissée, même équilibre,
même talent de pastelliste, même cohésion enfin sous
la baguette économe de Krivine pour un "Enchantement du Vendredi
Saint" fervent, à la fois naïf et biblique, animé d'un
mouvement continu, véritable lame de fonds sonore, populaire et
sans le pathos parfois encombrant, redondant des grands Kapellmeister d'antan
(les fans des messes alla Knappertsbusch ont dû être
déçus).
On en arrive aux Wesendonck Lieder,
dans l'orchestration de Mottl (Wagner n'a orchestré que "Träume",
le lied final) qui respecte la main et la pensée du maître.
Pour ces poèmes magnifiques, inspirés à Mathilde Wesendonck
par l'amour, suant la passion que lui vouait Wagner, esquisses de Tristan
par l'esprit comme par le son, Krivine enfonce un peu plus le clou de son
symphonisme chambriste, concertant. Le chef suscite parmi ses pupitres
des sonorités tendres, un érotisme des combinaisons de timbres,
des prodiges dynamiques sur toute l'étendue du spectre qui parent
les mots d'amour, de mort, de renoncement, d'abandon avec des couleurs
inédites, scintillantes ("Der Engel", "Träume"), oppressantes
("Im Treibhaus") et, en fin de compte, simplement évidentes.
Que le chef est bien mal secondé
par son soprano, pourtant! On garde de Susan Anthony en Senta, en Leonore,
en Salome des souvenirs autrement "percutants" que ce que l'on entend ici.
La voix n'emplit simplement pas le vaisseau de la salle, étouffée
par les moirures de l'orchestre dans les forte de "Stehe still"
et "Schmerzen". L'émission est généralement précautionneuse,
le grave étouffé, serré, le médium à
peine confortable et accusant des stridences inattendues, l'aigu peinant
à se chauffer, s'exhalant dans la douleur. L'intonation elle-même
reste plutôt douteuse, dans les passages à découvert
de "Im Treibhaus" par exemple. La voix fait en général, le
temps de ces quelques lieder, un acrobatique grand écart
entre la tentation d'un format dramatique à la manière de
la jeune Flagstad (dont Susan Anthony a les moyens) et le lyrisme fiévreux,
éperdu des "juste" lyriques (Varady) même génialement
à la limite de leurs moyens naturels (on garde le souvenir trouble
et troublant d'une interprétation d'exception de Mireille Delunsch
à Montreux en 2000). L'artiste par ailleurs est bien consciente
de l'enjeu que représente ce cycle monumental et personne ne pourra
lui reprocher de ne pas mettre beaucoup d'investissement, de conviction,
de souffrance dans son interprétation.
Concluons donc à une fatigue
passagère de Susan Anthony et passons notre chemin... C'est tout
de même bien dommage pour les sortilèges de Krivine...
Benoît BERGER