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BERLIN
20/05/2006
Claudio Abbado © DR
Richard WAGNER (1813 – 1883)
Wesendonck-Lieder (1857 – 1862)
Cinq lieder sur des poèmes de Mathilde Wesendonck
Der Engel – Stehe Still – Im Treibhaus
Schmerzen – Traüme
Anne Sofie von Otter, Mezzo-Soprano
Robert SCHUMANN (1810 – 1856)
"Manfred"
Poème dramatique pour orchestre,
solistes, chœurs et narrateurs, op. 115 (1852)
Bruno Ganz, Manfred
Peter Fitz, Jens Harzer, Dörte Lyssewski,
Barbara Sukowa, comédiens
Julia Kleiter, Soprano
Anne Sofie von Otter, Mezzo-Soprano
Kurz Azesberger, Ténor
Reinhard Hagen, Andreas Bauer,
Sascha Borris, Konstantin Wolff, Basses
Chœur de la Radio Bavaroise
Orchestre Philharmonique de Berlin
Direction: Claudio Abbado
Samedi 20 mai 2006
Allemagne - Philharmonie de Berlin
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COMME UN SOUFFLE ROMANTIQUE SUR LA PHILHARMONIE …
Un concert à la Philharmonie est toujours, ou presque, un
événement, surtout lorsque Claudio Abbado, qui, comme on
le sait, en fut un des directeurs les plus
vénérés, y dirige cet orchestre mythique dans un
programme on ne peut plus alléchant : le Manfred
de Schumann, œuvre très rarement donnée dans son
intégralité, avec dans le rôle-titre un des acteurs
les plus réputés du monde germanique, Bruno Ganz. ;
c’était aussi l’occasion d’entendre en
début de programme Anne-Sofie von Otter dans un
répertoire qu’elle avait jusqu’alors, malgré
son éclectisme bien connu, toujours laissé de
côté : la musique de Richard Wagner, en
l’occurrence les Wesendonck Lieder.
Moralité de l’histoire : les trois concerts
prévus les 19, 20 et 21 mai derniers se sont donnés
à guichets fermés, avec une foule d’aficionados se précipitant chaque soir pour essayer d’attrapper un billet à la dernière minute.
Cette salle de deux mille deux cents places n’a certes pas le
charme du Musikverein de Vienne, par exemple, mais, à
défaut d’être vraiment harmonieuse, se
révèle assez étonnante. Le public y entoure
l’orchestre, comme une pieuvre multiple, il est partout, devant,
sur les côtés, dans les hauteurs, et même
derrière lui. En résumé, la musique se faufile
elle aussi partout, et le public y baigne avec délices.
Anne Sofie von Otter © DR
Ces Wesendonck Lieder
constituaient donc la première étape des projets
wagnériens d’Anne-Sofie von Otter (*) et ce choix
dénotait d’une certaine prudence, comme souvent chez cette
artiste. Après tout, ce sont des lieder,
justement et d’autres chanteuses, à priori non
wagnériennes les ont interprétés, entre autres
Teresa Stich-Randall, à la voix au moins aussi
« instrumentale » que celle de von Otter.
Oui, mais voilà, oserons-nous dire que la prestation de cette
artiste qui, en grande forme vocale, venait, une semaine plus
tôt, de donner au Théâtre du Châtelet un de
ces formidables récitals dont elle a le secret, nous a quelque
peu laissée sur notre faim ?
L’acoustique de la Philharmonie est certes
phénoménale, mais la salle est vaste, trop vaste pour von
Otter, du moins dans les passages « forte ».
Malgré l’admirable, délicat et chatoyant tapis
musical qu’Abbado, très attentif, tisse autour
d’elle, la structure de la salle, qui s’étend
beaucoup en largeur, ne l’aide guère, et parfois, la voix
se perd dans son immensité. Tout cela est d’autant plus
regrettable que la mezzo suédoise déploie dans ces pages
magnifiques bien des trésors de nuances et un art de
créer une atmosphère auxquels ses consoeurs dotées
de voix plus puissantes ne nous ont pas toujours habitués. Et il
est vrai aussi que l’on gagne en finesse ce que l’on perd
en volume. L’intelligence de l’interprète, son art
de distiller le texte, sont superlatifs, et on n’est certes pas
accoutumé à entendre chanter ce cycle de manière
aussi subtile, avec un savant dosage des moments
d’élégie et de passion romantique. Las, il est
clair cependant que le son n’est pas toujours assez nourri et la
projection parfois limitée. Von Otter aurait sans doute
gagné à chanter ces mélodies dans une salle de
dimensions plus réduites et surtout à se produire
d’abord dans la version avec accompagnement de piano, plus en
adéquation avec sa « pâte » vocale,
et qui est d’ailleurs la version originale composée par
Wagner.
Si le projet d’enregistrement annoncé par DG avec les
mêmes se réalise, gageons qu’au disque, ce
problème d’adéquation du volume vocal à
celui de la salle et de l’orchestre sera moins flagrant, et
mettra plus en avant les qualités interprétatives et le
raffinement musical d’Anne-Sofie von Otter.
Bruno Ganz © DR
Venons-en au « plat de résistance » de cette soirée, le Manfred
de Schumann que l’on avait la chance d’entendre in extenso
ce soir-là. Représentée pour la première
fois à Weimar en juin 1852, grâce à Franz Liszt,
cette œuvre est avant tout, non pas un opéra, mais une
« scène dramatique » d’après
un poème de Byron qui raconte la longue errance d’un jeune
homme, Manfred. Au cours de son périple, ce dernier rencontrera
différents personnages, dont sa bien-aimée Astarté
et le fantôme de celle-ci, pour finalement trouver la mort.
Est-ce un signe des temps si on l’a proposée
« mise en espace » ? Et pour le coup,
était-ce bien nécessaire ? Lors de la
première à Weimar, Schumann n’avait-il pas
précisé à Liszt qu’elle « ne
devait pas être présentée comme un opéra, un
Singspiel ou un mélodrame, mais comme « un
poème dramatique avec musique » ?
Au début, les choses se déroulent
« normalement » et pendant la
célébrissime ouverture – divinement
interprétée par l’orchestre – la scène
est bien éclairée.
Mais voilà que les choses se gâtent quelque peu avec la
représentation scénique : Bruno Ganz apparaît
debout sur un podium, et, comme il doit se déplacer beaucoup
à travers l’immense salle, on l’a affublé
d’un micro qui restitue un son parfois médiocre avec de
nombreux « crachotis » fort
désagréables. Résultat : cet admirable
comédien à la diction pourtant parfaite n’est pas
toujours intelligible. Pendant les passages parlés,
l’orchestre est plongé dans la pénombre.
Quant aux chanteurs – qui ne sont pas
« sonorisés » - ils doivent eux aussi se
déplacer et « jouer » en quelque sorte,
tout l’espace de la salle étant utilisé.
Dans l’ensemble, tous les solistes et les chœurs sont bien
chantants, von Otter y compris, visiblement plus à l’aise
dans Schumann que dans Wagner et chez qui l’on retrouve ce timbre
argenté qui sied si bien aux lieder du même Schumann. Et
puis, il y a aussi la formidable Barbara Sukowa, grande actrice,
s’il en est..
Mais, par contre, l’on peut s’interroger sur
l’arrivée d’une figurante revêtue d’un
châle qui, lorsqu’elle le laisse tomber, se retrouve nue
comme un ver… Qu’est-elle censée
représenter, le fantôme d’Astarté,
peut-être ? Gageons, sans pudibonderie aucune, que les
mannes de Karajan ont dû en frémir.
Certes, cette théâtralisation, - voire une ébauche
de mise en scène – est plutôt bien huilée,
les éclairages, très étudiés, bien que
souvent sombres, tout cela est très professionnel, malgré
le micro crachotant de Manfred, mais d’où vient
qu’en admirant, certes, le savoir-faire et la sophistication de
l’ensemble, l’on ne soit pas ému une seconde,
même par l’immense Bruno Ganz, tant les protagonistes sont
occupés à se propulser vers les hauteurs de cette immense
salle, à entrer, à sortir, à apparaître,
puis disparaître d’un endroit à l’autre,
à monter, à descendre, sous l’œil
ébahi du spectateur dont le regard finit par être trop
sollicité, au point d’en oublier d’écouter,
tout simplement ?
N’aurait-il pas mieux valu être plus
« classique » et tout bonnement laisser parler la
musique et le texte ? Le talent d’Abbado et du Berliner, de
Ganz, de Sukowa et de tous les artistes présents
n’était-il pas suffisant ?
Les grands triomphateurs de cette épopée demeurent le
chef et son orchestre,…. et Ganz, bien sûr. On ne vantera
jamais assez la merveilleuse sonorité du Berliner
Philharmoniker, ses couleurs, sa précision, sa finesse, sa
suavité…
Au finish, un très grand succès, quand même, avec
d’interminables saluts, et la remise de bouquets à tous,
même au premier violon...
Juliette Buch
(*)
- Tristan et Isolde, rôle de Brangaene : Los Angeles, New York, 2007
- Le Crépuscule des Dieux, Waltraute : Festival d’Aix-en-Provence, 2009
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