Walkyrie
Wotan qui pleure
Pour la production, le Liceu choisit
la sécurité en accueillant la production berlinoise de Harry
Kupfer.
N'ayant vu que cette unique Walkyrie,
les impressions ci-dessous sont à relativiser par rapport à
celles découlant de la vision du cycle complet.
Il n'est néanmoins pas interdit
d'attendre de chaque "journée" une cohérence individuelle:
sur ce point, la production nous laisse quelque peu sur notre faim.
Les décors sont dignes d'un
film de science-fiction américain du début des années
80 (je pense à Tron produit par Walt Disney... c'est dire
les références !) avec fond en tube néon et projection
de diapositives, éléments métalliques façon
vaisseau spatial gagné par la rouille.
Au premier acte, la scène est
barrée par un immense tronc d'arbre, qui ressemble plutôt
à un gigantesque rôti calciné (on voit même un
morceau de broche métallique en ressortir).
Au second, seules subsistent deux
poutres métalliques, dont l'une s'effondre à la conclusion
du duo Wotan/Brunnhilde (genre : "les bras m'en tombent").
Le dernier acte est plus divertissant
: au début, les fières Walkyries réveillent des athlètes
apparemment dénudés.
Pendant plusieurs minutes, la question
"Sont-ils vraiment nus ?" est LE sujet de conversation entre possesseurs
de jumelles et simples spectateurs.
Au final, les néons clignotent
en rouge, symbolisant ainsi le feu sacré, tandis que le rocher sort
du sol par la magie d'un ascenseur hydraulique.
Côté costumes, on oscille
entre la SF années 40 (Wotan en Flash Gordon avec les lunettes de
Matrix) et le contemporain (Siegmund en rocker bavarois sur le retour,
mèches peroxydées et abdos Kronembourg).
Musicalement, le pire côtoie
le meilleur.
Le premier acte est en tout point
superbe. Peter Seiffert est un Siegmund éclatant, à la voix
lumineuse.
Au départ, un vibrato un peu
ample dans les notes tenues soulève quelques appréhensions
: rapidement, celui-ci disparaît, ce qui nous vaut notamment des
"Wälseuuuuuuuuuuuuuu" absolument uniques, voire melchioréens
!
Sa partenaire, Linda Watson est un
peu en retrait : non qu'elle ait de véritables défauts, mais
la voix est un peu quelconque. Elle assure toutefois sa partie avec beaucoup
de sûreté.
Le rôle de Hunding est assez
ingrat : difficile d'en être une incarnation marquante à défaut
d'un physique de colosse ou de graves impressionnants : Kwanchul Youn est
donc un Hunding correct, sans plus.
C'est dans la fosse que les choses
sont plus originales : Bertrand de Billy réussit en effet à
donner à ce premier acte des couleurs "françaises", faisant
sonner les cordes comme chez Gounod. Il révèle ainsi des
miroirs inattendus entre cette partition et les duos de Faust ou de Roméo.
Au second acte, nous retrouvons avec
plaisir une Deborah Polaski qui semble avoir retrouvé une partie
de ses moyens vocaux.
Malgré plus de dix ans de fréquentation
du rôle, sa voix, qu'on a connue assez abîmée ces dernières
années, nous confond par son timbre lumineux, son volume impressionnant.
On lui pardonnera donc quelques aigus
un peu criés, d'autant que son engagement scénique est proprement
électrisant.
Le Wotan de Falk Struckmann est en
revanche un peu terne : la composition du personnage est franchement sommaire
et quelques aigus sortent péniblement.
Enfin, Lioba Braun a des moyens, mais
elle ne laissera guère de souvenirs en Fricka.
Côté orchestre, les choses
se sont un peu gâtées : dans cette partie, les vents sont
bien plus exposés qu'au premier acte, ce qui nous vaut quelques
couacs retentissants.
Mais ce n'est rien à côté
du dernier acte, qui commence par une véritable chasse aux canards
dans la Chevauchée des Walkyries : difficile dans ces conditions
de juger des intentions de Bertrand de Billy, tant celui-ci est occupé
à gérer des problèmes techniques avec son orchestre.
L'impression de cafouillage est accentuée
par un cheptel de Walkyries dont le seul point commun est qu'elles chantent
suffisamment fort, ce qui est regrettable pour une partie d'entre elles
qu'on préfèrerait ne pas entendre du tout.
Un malheur ne venant jamais seul, c'est
à la doublure de Falk Struckmann, finalement annoncé souffrant,
que revient l'acte III.
Le baryton américain Peteris
Eglitis n'est hélas pas du tout un Wotan de stature internationale
: volume insuffisant, placement excessivement nasal, aigus trop bas...
Dans ces conditions, les Adieux deviennent
interminables !
Au rideau final, le public ovationne
les jumeaux, épargne Wotan, salue de Billy mais réserve quelques
huées pour l'orchestre au moment où celui-ci se lève
(c'est plutôt rare au Liceo).
Une soirée mitigée donc,
sauvée par un premier acte admirable.
Placido Carrerotti