Ne
pas oser... oser !
Rarement programmée, La Wally
de Catalani est toujours attendue avec impatience. Ces musiques à
l'influence wagnérienne indiscutable, ces descriptifs orchestraux
ponctuant l'action au-delà de la prosodie, cette rupture avec l'architecture
musicale des opéras verdiens ou pucciniens exercent un attrait certain
sur le public. Cependant, autant La Wally que Lorelei restent
les enfants pauvres du théâtre lyrique. Une production de
temps à autre, puis ces oeuvres retournent aux oubliettes. C'est
dire si cette nouvelle production du Stadttheater de Berne suscite la curiosité.
De plus, l'intérêt en
est encore avivé par le fait que la mise en scène soit signée
par Renata Scotto. Depuis une vingtaine d'années, la soprano italienne
s'est reconvertie dans ce domaine, tentant de faire profiter l'art lyrique
de sa grande expérience de la scène. Conversion réussie
? On peut en douter à l'examen de son exercice bernois. Dans sa
direction, jamais elle ne dépasse les limites du conventionnel.
Celle qui, alors qu'elle chantait, soulevait le public au gré de
ses folies vocales, manque du courage nécessaire pour mener ce récit
aux bords de l'hystérie jalouse qui caractérise pourtant
les protagonistes.
© Stadttheater de Berne
N'osant pas oser, elle confine ses
acteurs dans la foule des choristes et des figurants au point que lorsque
s'ouvre le rideau, on peine à isoler les solistes des choeurs. Ainsi,
on entend chanter Stromminger, le père de la Wally. Assis devant
une table derrière laquelle le choeur se tient debout, on ne le
distingue pas du reste des gens du village. Ce ne pourrait être qu'un
faux pas mineur si sa direction d'acteurs ne manquait terriblement de caractérisation
des personnages. Certaines scènes frisent la caricature. Lorsque
Vincenzo Gellner précipite Giuseppe Hagenbach dans un ravin, la
scène est si mal dirigée qu'elle suscite le rire des spectateurs.
Dans un décor hybride de carton pâte sans fantaisie ni grande
imagination, les acteurs semblent livrés à eux-mêmes.
Si certains s'en sortent grâce à leur propre expérience
des planches, d'autres n'arrivent pas à saisir l'esprit de l'oeuvre.
Pourquoi ne pas avoir profité de sa complexité scénique
(comment représenter une avalanche ?) pour imaginer des décors
plus suggestifs que descriptifs. Là encore, il aurait fallu oser.
Pourtant, le chef Srboljub Dinic s'emploie
à tirer d'un Berner Symphonie-Orchester parfois imprécis,
les atmosphères musicales de Catalani. S'emportant, peut-être
aurait-il été plus inspiré de tempérer ses
ardeurs pour éviter de couvrir les voix pas toujours sonores des
chanteurs. Ainsi, la juvénile Hélène Le Corre (Walter)
aurait mettre son indéniable talent au service d'un portrait sensible
de cet ami de la Wally.
Malgré l'absence de direction
d'acteurs, la plupart des chanteurs parviennent à incarner les personnages
du livret. La voix puissante de Frano Lufi (Stromminger) éclaire
parfaitement la rudesse du père de la Wally. De son côté,
la vocalité toujours admirable de Wolfgang Koch (Vincenzo Gellner)
modèle superbement la gaucherie touchante de l'inconditionnel amoureux.
Une fois de plus, il faut louer la belle prestation de Richard Ackermann
(Il Pedone) qui, lorsqu'il se limite à une expression retenue, s'avère
un chanteur de qualité doté d'une excellente prononciation.
On ne peut en dire autant des deux
principaux rôles. A commencer par le ténor hongrois Atilla
B. Kiss (Giuseppe Hagenbach) qui, malgré une voix claire (qui n'est
pas sans rappeler le timbre de Mario del Monaco), a la fâcheuse tendance
à forcer ses moyens naturels, ce dont se ressent une diction à
peu près inintelligible. Dans une moindre mesure, la même
critique peut être adressée à Olga Romanko (Wally).
Si l'instrument est très bien préparé, la soprano
moscovite manque toutefois de la théâtralité nécessaire
et campe une Wally un peu terne.
A l'issue de la représentation,
si les solistes ont été généreusement applaudis,
une partie du public bernois contestait bruyamment Renata Scotto. Il est
à craindre que, sans une sérieuse révision de la mise
en scène, cette production risque de connaître une réception
plus mouvementée que la "polie" condamnation bernoise lors des prochaines
représentations au Teatro Comunale de Bologne.
Jacques SCHMITT
Prochaines représentations au
StadttheaterBern
Les 22 et 27 février, les 4,
6, 15 et 26 mars, les 4, 7, 13 et 20 mai 2005.