Werther
en version de concert ? Et pourquoi pas ? Les visions de Weitzlar en carton-pâte
sont tellement courantes - et souvent grotesques - qu'un peu d'épure
pour cette partition ne pouvait nuire à personne.
On peut facilement imaginer qu'en ce
dimanche pascal, une tension singulière flottait dans l'immense
Auditiorium Rainier III. Toutes les pensées allaient bien sûr
au chef d'Etat monégasque. Au gré de l'oeuvre, des prénoms
comme Charlotte, Albert, l'appel du Poète au Père
prenaient soudain une dimension, un relief particulier.
Avouons-le bien bas toutefois, Werther
n'est pas l'immense chef-d'oeuvre qu'on voudrait bien nous faire croire.
On a souvent prétendu que Massenet avait "réduit le monde
de Goethe à un service de thé en porcelaine"... En fait,
ici, tout ce qui concerne le rôle-titre ou son amoureuse est parfait.
C'est plutôt le contour qui est faible : le mari trop effacé,
le Bailli sans envergure, la pétulante Sophie irritent... Et pourtant...
Malgré toutes les réserves, les critiques, on adhère
chaque fois, tels des masochistes, à cette musique morbide, à
ce paroxysme des passions amoureuses. Même sans vie théâtrale,
les personnages restent toujours comme étouffés, broyés
par les carcans de la morale, la famille et la société. La
mort apparaît soudain comme la seule délivrance.
Et si Massenet avait tout simplement
voulu écrire son Tristan ? Tout comme Tristan, son héros
meurt d'une blessure cachée ! Qu'il nous soit permis de poser la
question.
Une fois soulignée l'excellence
des seconds rôles (Michel Trempont en Bailli, Jean-Luc Ballestra
et Laurent Chauvineau inénarrables en compères portés
sur la Dive Bouteille) on s'arrêtera sur la délicate et pudique
Sophie de Cinzia Forte, enfin rendue à son identité d'adolescente
et non plus soubrette sur le retour.
Plaisir aussi de retrouver le sympathique
Marc Barrard, Albert tout de noblesse et d'élégance, donnant
à son personnage pourtant très convenu une force nouvelle,
un impact vocal et dramatique réjouissants. Tour de force de cet
artiste : rompre avec l'image habituelle du bourgeois obtus et rancunier
pour y révéler, finalement, une figure essentielle du drame
dans ses brèves interventions.
Impossible d'adresser un reproche sérieux
aux deux protagonistes. Hautement racée, cornélienne, sorte
de Madame Bovary soumise et résignée, avec ce je ne sais
quoi de rêveur et d'insatisfait, un sens aigu du pathos, la soprano
américaine Caroll Vaness rend à Charlotte sa vraie dimension
vocale dans un français et une diction simplement exemplaires. Une
superbe prise de rôle.
Ramon Vargas, généreux
et solaire, délivre de bout en bout un chant d'amour et de mort
à la fois nostalgique et victorieux, séducteur et chaleureux.
Même privé de vie scénique, Werther est là,
avec, dès son entrée en scène, le goût de l'échec,
cette complaisance dans la douleur, cette attirance suicidaire dans un
sommet émotif insoupçonné.
Nous nous arrêterons un peu plus
longuement sur la direction d'Emmanuel Vuillaume. A la tête de l'Orchestre
Philharmonique de Monte-Carlo, le Strasbourgeois décape totalement
la partition et fait de Werther - oeuvre sirupeuse à souhait
- un grand poème romantique aux teintes fortes, aux tensions dramatiques
intenses. Un élan qui fait chaud au coeur et régénère
la musique de Massenet qui retrouve ainsi la violence mais aussi la sensibilité,
le charme et la spontanéité dont elle ne devrait jamais se
départir.
Au risque de heurter les amateurs d'un
style plus "opéra-comique". C'est ignorer que l'ouvrage possède
la dimension et l'emphase du grand opéra.
Christian COLOMBEAU