C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
TURIN
15/06/05
WERTHER 

Opéra de Jules Massenet
Livret d'Edouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann 
d'après Die Leiden des jungen Werthers de Goethe
 
Production: David et Frederico Alagna
Costumes: Louis Désiré
Lumières: Aldo Solbiati

Werther: Roberto Alagna
Charlotte: Monica Bacelli
Albert:  Marc Barrard
Sophie: Nathalie Manfrino
Le Bailli: Michel Trempont
Schmidt: Léonard Pezzino
Johann: Armando Gabba
Brühlmann: Alessandro Inzillo
Kätchen: Ivana Cravero
Les autres enfants du bailli : 
Stefania Costa, Fiammetta Fanari, Roberta Nobile, Miriam Schiavello, Giulia Voghera,
Carlo Alberto Italia, Alberto Occelli, Giulio Sanna.

Orchestre du Teatro Regio
Choeur de voix blanches du Teatro Regio
et du Conservatoire Giuseppe Verdi
Direction : Alain Guingal

Turin, Teatro Regio, le 15/06/2005 (première)

ESPRIT DE FAMILLE

Salle clairsemée et applaudissements polis pour la première de ce Werther : le public turinois est-il donc si difficile ou simplement hermétique à ce répertoire ? La seconde option est sans doute la bonne, car cette représentation est très largement au-dessus de la moyenne internationale et aurait fait "un tabac" à Paris, Londres ou Barcelone.

La production est assurée par David et Frederico Alagna. On pourrait ergoter sur une certaine forme de népotisme, n'était l'indéniable qualité du travail offert par les frères de Roberto (1) : une production très classique, se voulant respectueuse du livret au risque de manquer souvent de poésie. A l'originalité, l'équipe Alagna préfère une approche quasi-cinématographique, fourmillant de détails (souvent heureux, parfois scolaires) qu'il serait fastidieux de rapporter ici (2). Un choix qui se comprend tout à fait dans l'optique d'une édition en DVD du spectacle. Les décors sont assez somptueux, bizarrement transposés fin XIXème, voire débuts XXème : le salon de Charlotte offrirait d'ailleurs un cadre idéal pour une production de La Traviata.

On aurait néanmoins pu s'épargner le défilé de calèches, de chiens ou de chevaux ; non pas que cela ne soit fait avec goût, mais on ne peut éviter de se croire un instant au Met ou à Vérone (en plus, ces bourrins font un de ces potins !).

Les éclairages sont en général subtils, à l'exception de certains effets un peu trop appuyés (exemple : le plateau qui s'obscurcit tandis que Werther sous un projecteur blanc chante "O spectacle idéal d'amour et d'innocence", procédé un peu lourd destiné à marquer l'intériorisation de la déclamation).

A tout seigneur tout honneur. Roberto Alagna campe un Werther brûlant, d'un chant superbement maîtrisé mais où les piani sont rares. La première partie est remarquable (les actes I et II sont donnés sans entracte), le ténor nous gratifiant d'une émission généreuse, d'une diction exemplaire, une sorte de compromis entre Alfredo Kraus et Georges Thill. Néanmoins, quelques décalages avec la fosse témoignent d'une certain manque de préparation : Roberto a parfois tendance à accélérer le rythme, comme s'il avait peur de ne pas maîtriser son souffle jusqu'au bout des phrases (à noter que les valeurs de certaines notes "difficiles" ne sont pas toujours respectées).

La seconde partie ne confirme pas vraiment cette impression positive, la séduction immédiate d'Alagna ne lui suffisant pas pour tenir la distance. Le lied d'Ossian, tube des ténors, est chanté au mètre, de manière assez impersonnelle, sans variations de couleurs entre les deux couplets et avec une note finale qui va chercher les applaudissements. Autre exemple, "je meurs en te disant que je t'adore" est débité comme "je reprendrais bien un peu de pâté".

Scéniquement, le personnage se cherche. Ici, difficile de faire la part des choses entre le travail de la mise en scène et celui du ténor (une seule chose de sûre : la faute incombe à un Alagna !).
Roberto est un Werther exagérément torride, se payant le luxe d'embrasser Charlotte sur la bouche dès le premier acte (en contradiction avec la déclaration de l'acte III : "il brûle sur ma lèvre, encore inassouvi, ce baiser demandé pour la première fois"). Une ardeur qui rend difficilement compréhensible le revirement qui suit "A ce serment, soyez fidèle ; moi j'en mourrai Charlotte" ; on aurait plutôt parié sur le fait qu'Alagna aille casser la figure à son rival !

La caractérisation dramatique est ainsi constituée de moments d'emballements histrioniques (Werther saisissant violemment Charlotte par les poignets ou se traînant à ses pieds en plein jour devant l'église ... sans parler d'un suicide digne de la mort de Scarpia !), suivis de soumissions soudaines : une absence de cohérence qui rend le personnage assez étrange.

Timbre chaleureux, bonne diction, Monica Bacelli serait une excellente Charlotte en accordant plus d'attention au mot : pour exister face à Werther, le rôle demande une vraie diseuse capable de captiver l'auditoire faute de quoi le rôle parait sacrifié.

Vocalement impeccable, Marc Barrard chante un Albert d'une grande humanité, réservé et amoureux ; une approche intéressante mais, en apparence du moins, un peu contradictoire avec la scène des pistolets : pourquoi le mouton se transforme-t-il soudain en fauve ?

On retrouve avec plaisir l'inusable Michel Trempont, toujours parfait représentant d'une ancienne école du chant français.

Nathalie Manfrino est une Sophie délicieuse, bien chantante, espiègle et romantique et à la diction irréprochable.

Léonard Pezzino en Schmidt et Armando Gabba en Johann complètent agréablement la distribution : le premier est parfait de style, mais pas toujours en mesure ; le second dispense une voix solide mais un peu trop italienne.

La direction d'Alain Guingal est tour à tour élégante et dramatique, évitant le piège d'un vérisme tonitruant. Les représentations ultérieures viendront sans doute gommer les quelques décalages constatés avec le plateau.
 
 

Placido CARREROTTI

Notes

1. Le monde lyrique pratique suffisamment le copinage pour ne pas s'offusquer de ce coup de pouce familiale. Pour citer Vincent Auriol, "il est plus facile de donner des leçons que des exemples".

2. Une simple illustration : entendant par hasard les échanges entre le Bailli et ses amis au sujet de Werther "pas fort en cuisine", Sophie reste un instant songeuse, puis repart avec un léger sourire ; on comprend qu'elle l'aime déjà. Plus rarement, le détail est à contresens : à la question d'Albert "Ai-je fait une femme heureuse et sans regret ?", Charlotte répond par une pirouette "lorsqu'une femme a près d'elle l'époux le plus droit et l'âme la meilleure, que pourrait-elle désirer ?". Cette déclaration confirme qu'elle n'aime pas Albert mais qu'elle a agi par devoir (ce que Charlotte déclare d'ailleurs à Werther). A cet instant, les frères Alagna nous montrent Charlotte blottie amoureusement dans les bras d'Albert, vision tout à fait incongrue.
 

[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]