Werther
n'était plus à l'affiche du Staatsoper depuis de nombreuses
années. Vu le nombre de caméras et de micros disposés
dans la salle le soir du 22, il y a de fortes chances que cette nouvelle
production soit immortalisée et paraisse un jour sur le marché.
Dans cette nouvelle mise en scène,
un immense arbre occupe le centre de l'espace scénique du début
à la fin. Ses branches aussi épaisses que des troncs abritent
en leur sein une plateforme terrasse. Il perdra ses feuilles en automne
et sera entouré de neige au dernier acte. A ses pieds, des meubles
de jardin au premier acte, quelques tables ou chaises de plein air à
l'acte II, des meubles d'intérieur à l'acte suivant, puis
un seul lit où Werther agonise.
Andrei Serban a décidé
de transposer l'action à la fin des années 50 et joue beaucoup
sur les changements de saisons : lumière estivale pour le premier
acte, automnale pour le suivant, sapin de Noel pour le III, sol blanc pour
le dénouement. Le début surprend quand on est habitué
à des Werther de l'époque de Goethe ou de Massenet. Les enfants
sont habillés pour les jeux de plage, hula hoop inclus, et la mère
de Charlotte n'en a pas eu six mais une bonne quinzaine! Ou alors il est
à supposer qu'ils sont avec leurs copains... qui chantent tous "merci
grande soeur" à destination de Charlotte.
Puis le spectateur s'habitue à
cette transposition et peut apprécier quelques belles robes d'époque
que portent Charlotte, Sophie et des jeunes filles invitées. En
voyant ces costumes, ou plus tard Charlotte devant son téléviseur
"antique" au troisième acte, on croit voir un mélo de Douglas
Sirk. La blondeur de Elina Garanca la rapproche d'ailleurs de certaines
héroïnes du septième art. Sur le plan du jeu, la jeune
mezzo originaire de Riga offre une interprétation fouillée
de bout en bout. Aguicheuse au début, déstabilisée
et nerveuse par la suite, sa composition est passionnante. Marcelo Alvarez
paraît plus emprunté, plus chanteur qu'acteur, mais Werther
n'est-il pas en partie inhibé ?
Sur le plan de l'articulation, seul
Adrian Erod est intelligible, le baryton faisant honneur à ses origines
partiellement françaises. Il faut avouer que si l'on ne connaissait
pas le livret, on perdrait une bonne part de ce que les autres chantent.
Quel dommage en particulier que les mots de Charlotte se transforment en
bouillie pour chats !
Vocalement, Elina Garanca possède
une voix superbe sur toute la tessiture, et après l'avoir entendue
ici en janvier dans la vocalité d'une Rosina, puis dans de la zarzuela
au bal de l'Opéra, on est heureux de retrouver ce même niveau
d'excellence, la diction exceptée. Marcelo Alvarez est un Werther
à la hauteur, émouvant dès l'hymne à la nature,
assuré dans "Lorsque l'enfant", maître de ses moyens dans
"Pourquoi me réveiller ?". Du beau chant, en vérité.
Le reste de la distribution est d'un
bon niveau, à commencer par la Sophie d'Ileana Tonca, jalouse de
sa soeur, jouant bien le dépit amoureux face à l'indifférence
de Werther. Son beau-frère, Albert, devient particulièrement
inquiétant au troisième acte, lucide sur ce qui se passe.
Serban décide de le faire revenir au dénouement pour observer
(espionner ?) Werther et Charlotte - devenue fort tendre avec ce dernier.
Il repousse sa femme pendant les dernières mesures alors qu'elle
est prostrée à ses genoux.
Philippe Jordan assure un juste équilibre
entre une lecture passionnée et analytique de la partition. Sa direction
est dramatique, se permet quelques rubati, se montre attentive aux
chanteurs, mais claire et sans aucun effet facile. Tous les chanteurs et
le chef seront ovationnés au rideau final.
Valéry FLEURQUIN