De cette intrigue de William Shakespeare,
il est dommage que la postérité n'ait retenu que la partition
de Verdi, Falstaff, car celle du compositeur Otto Nicolaï,
moins connue mais très appréciée de nos voisins germaniques,
réunit un certain romantisme allemand à la tradition italienne.
Nicolaï, né en 1810 à Königsburg (port de Russie
sur la mer baltique à la frontière polonaise), a voyagé
en Poméranie, à Vienne, Rome, Turin et Berlin où il
mourut très jeune, quelques mois après la première
représentation de son chef-d'oeuvre. Il voulait écrire une
oeuvre qui ne soit ni prussienne ni italianisante, or, dans de nombreuse
pages on retrouve, les influences de Rossini (Le Barbier de Séville)
de Weber (Le Freischütz) et de Mendelssohn (Le songe d'une
nuit d'été).
Toutefois, Les Joyeuses commères
de Windsor constitue une partition bien à part, tour à
tour enjouée, mélancolique, comique et jamais grossière.
Le sujet se déroule à la fin du XVIème siècle.
Les femmes étaient alors prétendues soumises au diktat
de l'homme (du moins du mari !). Nicolaï les traite à la façon
du XIXème siècle, début de leur émancipation,
aussi se moquent-elles du séducteur défraîchi, baratineur
qu'est le noble Falstaff, et rendent en même temps leurs maris jaloux
pour mieux se gausser d'eux. Tout est divertissant, endiablé, jamais
lourd.
Le metteur en scène Arnaud Bernard
en a parfaitement respecté les caractéristiques, ne déformant
jamais l'esprit de l'oeuvre, ni par sa mise en scène, ni par ses
costumes et décors. Ce n'est pas son coup d'essai puisque durant
dix ans, il a travaillé avec Nicolas Joël et Jean-Claude Auvray.
Il a oeuvré en Allemagne, en Argentine, à Monte-Carlo, aux
Etats-Unis ou encore au Japon. En 2001, il signait des mises en scène
personnelles dont l'Elixir d'Amore au Capitole, Roméo
et Juliette à Chicago (avec Alagna & Gheorghiu en 2002),
le Triptyque pour le nouvel A.N.O.
(© Vincent Jacques)
Bernard a transposé l'action
dans les années précédant la Seconde guerre mondiale.
Pendant l'ouverture, il fait défiler tous les protagonistes sur
un tapis roulant dans une position qui illustre leur personnalité.
Au IIIème acte, la scène où Falstaff, particulièrement
ridiculisé, est encerclé par les elfes et esprits surgissant
de toutes parts (à la manière des sorcières du Macbeth
de Verdi) est très réussie.
Vocalement le plateau s'est révélé
homogène. Daniel Lewis Williams, d'origine américaine, baryton
basse solide, sonore, mais sans excès, a campé un truculent
Sir John Falstaff.
Frau Fluth (soprano) était campée
par la Canadienne Rayanne Dupuis, très à l'aise dans le medium
et l'aigu. Elle a su donner à son rôle l'espièglerie
voulue. Le mezzo français Delphine Fischer prêtait sa voix
riche et bien timbrée à Frau Reich. En Herr Fluth (baryton),
l'ineffable Franck Leguérinel a ravi le public tant par la sûreté
de son chant et ses talents de comédien.
La mention spéciale revient
à Stéphanie Révidat, soprano issu de l'Opéra
de Lyon. Elle a su accorder au rôle de la jeune Anna Reich toute
sa jeunesse et sa joliesse à la faveur d'un timbre bien assis, d'une
splendide projection des aigus et d'une musicalité quasi mozartienne
qui laissent augurer une carrière intéressante.
L'orchestre national des Pays de la
Loire, sous la direction de l'Allemand Christoph Ulrich Meier, s'est montré
à la fois passionné, pétulant, gracieux, réussissant
à donner à la partition le rythme léger voulu par
le compositeur.
E.G. SOUQUET