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PARIS
07/01/2006
© DR
Franz SCHUBERT (1798 –1828)
WINTERREISE
Cycle de mélodies sur des poèmes de Wilhelm Müller
Simon Keenlyside, baryton
Pedja Muszijevic, piano
Chorégraphie : Trisha Brown
Costumes : Elizabeth Cannon
Lumières : Jennifer Tipton
Danseurs : Jodi Melnick, Standford Makishi, Lionel Popkin
Pièce créée par la Trisha Brown Dance Company le 2 décembre 2002
au John Jay College Theater de New York/Lincoln Center for Performing Arts.
Première en France
Paris, Palais Garnier, le 7 janvier 2006
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Le triomphe de Schubert
Mettre en scène ou chorégraphier un chef-d’œuvre comme le Winterreise
relève, de toute évidence, du défi et de la
gageure. Bob Wilson s’y était déjà
cassé les dents lorsque en 2001, au Théâtre du
Châtelet, il l’avait monté avec Jessye Norman. Demi
échec dans la mesure où la diva et le piano
étaient séparés : l’une sur
scène, l’autre en bas, dans la fosse d’orchestre,
choix aberrant lorsqu’on sait que, dans cette œuvre
majeure, piano et voix se répondent, étroitement
mêlés…Le résultat fut donc, comme on pouvait
s’y attendre, assez décevant, constitué d’une
succession de belles images très bien éclairées,
hélas ponctuée de fréquents décalages avec
le pianiste…
Avec Wilson, la sauce n’avait donc pas pris. Trisha Brown
allait-elle réussir là où il avait
échoué ? Pas vraiment non plus.
Pourtant, la chorégraphe américaine n’en
était pas à son coup d’essai, puisqu’elle
avait déjà officié dans L’Orfeo
de Monteverdi dirigé par René Jacobs, donné
à Paris au TCE en 1999, également avec Simon Keenlyside
dans le rôle-titre, production publiée en DVD. Il
s’agissait là d’un exercice un peu différent,
car après tout, le ballet ayant sa place à
l’opéra, voir danser des bergers dans la verte campagne
n’avait, à priori, rien de très surprenant. Danser
sur une œuvre aussi intérieure, intime et abstraite que le
Voyage d’Hiver constituait un autre challenge.
Il faut bien reconnaître que le travail de Trisha Brown, sans
apporter quoi que ce soit de très nouveau, n’abîme
pas l’œuvre et se révèle loin
d’être indigne, à défaut d’être
génial.
Elle bénéficie, il est vrai, d’un atout majeur dans
sa démarche, en la personne de Simon Keenlyside, qui est tout
bonnement époustouflant. On peut se demander quel autre chanteur
est aujourd’hui capable d’accomplir une telle
performance…Déjà, on avait remarqué
à quel point il bougeait magnifiquement dans l’Orfeo.
Là, l’exploit est encore plus flagrant, dans la mesure
où, pendant plus d’une heure, l’artiste est seul
pour enchaîner vingt-quatre lieder,
assisté de trois danseurs et accompagné par un formidable
pianiste placé, lui aussi et fort heureusement sur scène.
Il convient de préciser que c’est le chanteur
lui-même qui eut l’idée de ce projet et l’a
proposé à Trisha Brown.
Il faut mettre au crédit de cette dernière le fait
qu’elle n’est pas allée contre la voix et ses
exigences, qu’elle a respectées, et a juste tenté
de les optimiser par sa chorégraphie. Je dis
« tenté », car c’est finalement
là que le bât blesse. Autant l’interprétation
musicale est superlative, autant le « plus » que
la danse est censée apporter tombe rapidement à plat dans
la mesure où il se résume, notamment pour les trois
autres protagonistes, pourtant danseurs à part entière,
plus à des exercices d’échauffement
qu’à de la danse. De plus, il y a des
éléments assez discutables dans cette
chorégraphie, comme les mouvements de sémaphore
destinés à représenter la croisée des
chemins qui s’offre au voyageur…
Pourtant, visuellement, le spectacle possède quelques
atouts : éclairages souvent trop sombres, mais très
beaux – en particulier les clairs-obscurs - scène
dépouillée, abstraite, costumes très simples,
quasiment minimalistes. Cependant, à plusieurs reprises, on a le
sentiment que tout cela est inutile et que le chanteur et son pianiste
suffiraient à nous combler, sans qu’on ait besoin
d’en rajouter, tant l’œuvre est forte et se suffit
à elle même.
L’interprétation de Keenlyside, diamétralement
opposée à celle d’un Bostridge, par exemple,
s’avère bouleversante, dans la mesure où elle joue
le jeu de l’extrême simplicité. Pas
d’expressionnisme, pas d’excès à la limite de
l’exhibitionnisme, comme chez son compatriote, éternel
écorché vif. Ici, le baryton joue à fond la carte
de l’épure et de la sincérité. Son chant,
qui sonne terriblement vrai, nous touche profondément par son
humanité, tout comme la déchirante douleur de son
Orphée chez Monteverdi. Corporellement, il fait preuve
d’une maîtrise hallucinante, alliant force et souplesse,
avec quelque chose de félin dans la manière de se
déplacer. La voix, belle, colorée, peut s’enfler et
remplir la salle, tout comme elle sait s’éteindre peu
à peu dans un murmure confinant au silence. Pedja Muszijevic est
au diapason avec un jeu à la fois intense et discret,
délicat, nuancé.
Triomphe absolu pour le chanteur et son accompagnateur, succès
honnête pour les trois danseurs, mais accueil on ne peut plus
mitigé pour la chorégraphe.
Ce soir-là, le baryton et le pianiste firent la preuve, si elle
était encore à faire, que Schubert est le plus fort.
Juliette Buch
NB : Simon Keenlyside sera Don Giovanni successivement à
Vienne (fin janvier) puis à Munich (début
février). Il est des théâtres qui ont bien de la
chance…
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