C O N C E R T S 
 
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LYON
17/10/03

Dietrich Henschel, Nina Stemme
© Elisabeth Carrechio 
festival Aix en provence 2003
Alban BERG

Wozzeck

Opéra en trois actes et quinze scènes, 1925
Livret du compositeur d'après Woyzeck, pièce de Georg Büchner

Direction musicale : Lothar Koenigs
Mise en scène et scénographie : Stéphane Braunschweig
Costumes : Thibault Vancraenenbroeck
Éclairages : Marion Hewlett
Chef des choeurs : Alan Woodbridge

Dietrich Henschel (Wozzeck),
Kim Beley (Tambour-Major),
Christer Bladin (Andrès),
Pierre Lefebvre (Le Capitaine),
Walter Fink (Le Docteur),
Nina Stemme (Marie),
Hélène Jossoud (Margret),
Eberhard Francesco Lorenz (Le Fou)

Orchestre, Choeur et Maîtrise de l'Opéra de Lyon

Opéra de Lyon
14, 17*, 20, 22, 24, 26 et 30 octobre 2003


Impressionnant Wozzeck lyonnais
 

En présentant le Wozzeck d'Alban Berg sans entracte, Stéphane Braunschweig emprisonne son auditoire dans l'intrigue. Lourdes atmosphères, scènes timidement éclairées, le noir domine. Dans ce théâtre du mot chanté, les tableaux minimalistes se succèdent, confinant l'action à un ou deux acteurs. Dérisoire instrument de la pauvreté, une chaise trône comme unique objet de scène. Enfer noir des miséreux dans lequel Wozzeck déambule, l'esprit envahi par l'incompréhension de son ignorance. Faisant "partie des gens qui n'ont pas de chance dans ce monde et dans l'autre", Wozzeck subit sans rébellion les moqueries et les sarcasmes de ses hiérarchies. Le Capitaine hystérique puis le Docteur sadique "s'offrent" l'innocence du soldat. Deux mondes s'opposent. L'univers solitaire d'un Wozzeck que son inculture condamne à l'introversion et celui de ceux qui ironisent sur ses tares intellectuelles. Wozzeck acceptera son sort jusqu'au moment où sa jalousie le rattrapera. Alors, réalisant son injuste désespoir, il construit sa vengeance.

Bien préparés sur le plan dramaturgique, les chanteurs s'investissent sans compter dans la caractérisation de leurs personnages. A commencer par le baryton Dietrich Henschel dans le rôle-titre. Intériorisant son héros, il n'hésite pas à réfréner sa voix. Une pâleur vocale qui veut exprimer avec douceur le dérangement intellectuel du héros. Nous sommes loin de l'arrogant Comte des Nozze di Figaro de Mozart que l'Allemand campait sur la scène du Grand Théâtre de Genève en décembre dernier ! Tout aussi impressionnants, la basse autrichienne Walter Fink en docteur pervers et le ténor Pierre Lefevbre, le Capitaine. Démoniaque, le premier inflige son impressionnante stature et ses attitudes dédaigneuses et moqueuses à Wozzeck, alors que le second affirme son grade en tentant d'exorciser sa petite taille à travers gesticulations, sauts, cris et hurlements. Dans ce théâtre de l'excès, il projette son comique sur une ironie féroce. Mi-madonne mi-putain, la Maria du metteur en scène français est un personnage ambigu. En mère attentionnée de son enfant, en courtisane du tambour-major ou déboussolée par son inaptitude à comprendre les propos de Wozzeck, la soprano suédoise Ninna Stemme impose sa voix solide dans un jeu scénique élégamment retenu. Dotée d'un superbe instrument vocal et d'une palette de couleurs étendue, elle empoigne son rôle avec aplomb, ne reculant devant aucun effet de voix pour garantir la théâtralité la plus probante à ses joies ou à ses angoisses. Considérée comme l'une des grandes sopranos du moment, elle confirme ici la forte impression que sa Katerina de LadyMacbeth of Mzensk (Chostakovitch) avait laissée sur le public genevois (V. notre critique du spectacle). Si les seconds rôles méritent tous de larges accessits, le Tambour-major du ténor britannique Kim Begley déçoit. Un surcroît de vaillance en aurait fait un séducteur plus crédible.

Dans sa complexité harmonique, la musique d'Alban Berg semble écrite pour accompagner le geste plutôt que le chant. Elle soutient l'action. L'admirable mise en scène de Stéphane Braunschweig n'aurait été qu'un simple essai psychanalytique sur l'esprit dérangé de Wozzeck si elle n'avait été magnifiée par l'hallucinante prestation d'un Orchestre de l'Opéra de Lyon survolté. La direction du chef allemand Lothar Koenigs entraîne le public dans une tension croissante et étouffante dont il ne se libérera qu'au tombé du rideau. Un spectacle total, impressionnant, d'une beauté tragique rare. On sort transformé, marqué par l'insigne privilège d'assister à l'émergence consciente du désespoir "des petits, des obscurs, des sans-grade" devant les hiérarchies que nous imposons. Et ce ne sont pas les cent quatre-vingt ans qui séparent le crime d'un certain Johann Christian Woyzeck et notre époque qui minimisent nos responsabilités.
 
 
 

Jacques Schmitt
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