C'est
au milieu d'une saison un peu morne et après un Rigoletto
de sinistre mémoire le mois dernier que l'Opéra de Montréal
présentait cette Flûte Enchantée aussi rafraîchissante
qu'exotique : de leur séjour à l'opéra de Hawaii,
les décors de Keith Brumley ont gardé en effet le cocotier
(auquel Papageno essaie de se pendre non sans récolter au passage
quelques noix de coco sur la tête) et un aileron de requin qui semble
sorti tout droit d'une énième version des Dents de la
Mer pour troubler momentanément les amours de Papageno et Papagena.
Le reste de la production s'amuse de la même façon à
manier les références (Sarastro est ainsi une créature
hybride entre le Jésus de South Park et Raël), les Trois
Dames sont armées comme de vraies Walkyries, et le serpent (bien
actionné par un machiniste un peu trop près de la scène)
pourrait être avantageusement réutilisé dans Siegfried.
On passe donc de bons moments pendant ces trois heures de spectacle à
regarder entre autres Monostatos jouer à la corde à sauter
avec ce qui devait servir à capturer Pamina et Papageno et l'on
se réjouit, grâce à Bernard Uzan et Carol Bailey, d'avoir
une vraie direction d'acteurs et des costumes à la fois beaux et
inventifs à l'Opéra de Montréal, pour la première
fois cette saison.
Russell Braun, Papageno et Benjamin
Butterfield, Tamino
© Yves Renaud / Opera de Montreal)
Côté vocal, les chanteurs
ne déméritent pas (à l'exception peut-être du
Sprecher de Sébastien Ouellet à l'accent allemand aussi exotique
que les cocotiers déjà évoqués), mais sont
cruellement desservis par l'acoustique de la salle Wilfrid-Pelletier qui,
jeudi soir, n'a jamais semblé aussi mauvaise ; les dialogues parlés
sont d'ailleurs très probablement amplifiés, même si
la direction de l'opéra prend bien soin de ne pas le préciser.
Cette même direction n'oublie toutefois pas de préciser que
pour la sécurité" (sic) des artistes, il ne faut pas
essayer d'enregistrer la représentation ! En attendant donc la construction
hypothétique d'une nouvelle salle à Montréal (sujet
qui n'est pas hélas au centre des préoccupations de la campagne
électorale actuelle), il a donc fallu prêter une oreille particulièrement
attentive pour entendre Benjamin Butterfield en Tamino qui, malgré
des débuts un peu engorgés et barytonant, réussit
à faire valoir au fur et à mesure de la soirée une
belle voix de ténor lyrique. Son compatriote Russell Braun, bien
connu du public parisien depuis qu'il a chanté "Der Vogelfänger
bin ich ja" debout sur un seul pied dans la mise en scène de Bob
Wilson à Bastille, incarne un Papageno toujours très drôle
sans jamais être vulgaire.
L'acoustique ne semble poser aucun
problème à ces dames : Pamina est interprétée
avec beaucoup de sensibilité et de musicalité par Karen Driscoll
tandis que Jami Rogers, en Reine de la Nuit, s'avère une remplaçante
de luxe : si la partie colorature du deuxième air est un peu savonnée,
les contre-fa, eux, sont bel et bien là. On aurait pu rêver
de graves plus abyssaux de la part de Randall Jakobsh, mais sa prestation
est digne de celle de ses partenaires. A remarquer enfin le Monostatos
très frais et sémillant de Pascal Mondieig et la présence
discrète de Marie-Nicole Lemieux qui, en troisième dame,
faisait ainsi ses débuts à l'Opéra de Montréal.
Seule vraie déception de cette soirée globalement positive
: les choeurs de l'Opéra de Montréal, qui paraissent manquer
singulièrement d'entrain alors que le chef, Mark Flint, impose à
l'Orchestre Métropolitain du Grand Montréal, une énergie
et une fougue qui font mouche.
Au total, une soirée "pas pire"
(comme on dit au Québec), comme on aimerait en voir plus souvent
; espérons que le nouveau directeur artistique, Bernard Labadie,
ait des projets de ce genre plein son chapeau !
Rémi Bourdot