Un peu d'astuce, de fantaisie...
Le favori et protégé
de Marie-Antoinette n'est guère fêté en sa patrie :
il faut remonter à 1987 pour retrouver Zémire et Azor
à l'affiche du Théâtre Royal de Liège, dans
une production dirigée par Alan Curtis. L'Opéra Royal de
Wallonie s'est associé à La Péniche Opéra et
à la Ville de Fontainebleau pour cette reprise du spectacle, subtil
et rafraîchissant, conçu l'année dernière par
Mireille Larroche autour du chef-d'oeuvre de Grétry. La mise en
scène renonce aux fastes de la comédie-ballet, avec ses changements
de décor, ses machines et bien sûr ses danses, pour se concentrer
sur un castelet, délicieusement suranné, où trône
un ravissant théâtre de marionnettes qui permet une mise en
abyme et un jeu de miroirs à la fois ingénieux et très
poétiques, en particulier lorsque Zémire se tourne vers le
théâtre miniature et reçoit du double articulé
de son père la rose fatale. Avec peu de moyens, mais de l'imagination
à revendre, de l'humour et une bonne dose d'autodérision
- les artifices sont volontairement mis à nu, qu'il s'agisse des
bruitages ou du faux nuage manoeuvré par Monsieur Grétry
au vu et au su d'un auditoire complice - cette réalisation opère
des miracles. Les quatre actes sont donnés sans entracte, avec toutefois
un court interlude durant lequel Madame du Barry (Fatimé) et Mademoiselle
de Beaumont (Lisbé) distribuent quelques douceurs aux premiers rangs
du parterre... autant dire que l'ambiance est décontractée,
pour ne pas dire bon enfant !
Cette version de salon joue aussi la
carte de l'économie sur le plan musical : point de choeurs et seulement
une poignée d'instrumentistes (violon, alto, contrebasse, flûte
traversière, hautbois et cor anglais), qui soutiennent admirablement
l'action. Si la voix parlée de Chantal Perraud (Zémire) évoque
de manière frappante celle de Jane Birkin [sic], sa diction, bien
que dépourvue d'accent, laisse à désirer dès
qu'elle se met à chanter. Elle affronte néanmoins avec un
bel aplomb son grand air à roulades, d'ailleurs salué par
des applaudissements nourris, et son jeu n'appelle que des éloges.
A défaut de séduction et d'éclat (il est même
un peu court de souffle et de projection dans la menace "... Sur la terre
et sur l'onde ma puissance s'étend"), le ténor du jour, Christophe
Crapez, signe une composition irrésistible de drôlerie en
Ali (il faut entendre le duo de l'acte I, où le valet ensommeillé
refuse de se lever) et livre une leçon de style et de musicalité
dans le rôle d'Azor ("Ah quel tourment d'être sensible"), monstre
vulnérable et touchant. Excellent acteur, Lionel Peintre commente
l'intrigue avec ce qu'il faut d'esprit et incarne un Sander très
crédible, dont la douleur arracherait des soupirs au plus insensible
des coeurs. Enfin, Claire Geoffroy-Dechaume (Lisbé) et Isabelle
Obadia (Fatimé) se tirent avec les honneurs de parties ingrates
et brillent même dans les ensembles (superbe trio des soeurs à
l'acte I).
Le public familial de ce dimanche après-midi,
toutes générations confondues, est conquis. Il faut dire
que l'opéra féerique de Grétry n'a rien à envier
au célèbre film de Cocteau et mériterait de figurer
plus souvent au programme des maisons d'opéra. A bon entendeur...
Bernard SCHREUDERS