Bien que presque contemporains, il
y a peu de points communs entre Der Zwerg d'Alexander Von Zemlinsky et
L'enfant et les sortilèges de Maurice Ravel, que ce soit au plan
musical ou au plan dramatique.
Richard Jones et Antony Mc Donald tentent
un timide rapprochement à travers un joli cadre de scène
en carton ondulé : au piano à gauche, Zemlinsky, plus haut,
son librettiste Oscar Wilde, sur le piano à la place de la partition
une photo d'Alma Schindler, qui préféra épouser Mahler
que Zemlinsky, qui était plutôt laid. Au piano à droite,
Ravel, plus haut, sa librettiste Colette, sur le piano à la place
de la partition une photo de la mère de Ravel, morte en laissant
son fils inconsolable.
Un homme au physique disgracieux et
malheureux en amour raconte l'histoire d'un nain affreux dont une belle
jeune fille se moque et qu'elle finit par tuer de chagrin, un autre homme
qui vient de perdre sa mère décrit comme le monde est chaud
et rassurant pour un enfant dans les bras de sa maman : deux oeuvres écrites
pour exorciser la souffrance de leur compositeur, donc. C'est un point
commun, mais c'est bien le seul. D'ailleurs, dès la disparition
de ce cadre de scène, mise en scène, décors et atmosphère
générale seront traités de manière totalement
différente par les metteurs en scène.
Le décor de Der Zwerg représente
une forêt d'asperges géantes : c'est saugrenu, mais c'est
plutôt joli, d'autant plus que les éclairages les nimbent
de belles couleurs selon l'heure, de l'aube au crépuscule. Les costumes
sont eux d'une laideur assumée, et même revendiquée.
Pourquoi pas ? l'histoire est ainsi placée dans une ambiance de
conte de fée cauchemardesque.
La plus belle voix de cette première
partie de soirée a été sans conteste Paula Delligatti
en Ghita, le seul personnage à comprendre la souffrance du nain
et à le prendre en pitié. Dale Duesing, dans un costume qui
fait irrésistiblement penser à celui d'un monsieur loyal
fluo, est toujours aussi parfait, vocalement et scéniquement.
L'infante interprétée
par Mary Mills tripote sans arrêt ses longs cheveux - blonds, comme
il se doit - se tortille, arbore un sourire béat : une parfaite
caricature des bimbos qui peuplent les séries américaines
dont nos chers ados sont abreuvés jusqu'à plus soif. C'est
très bien vu. Sur le plan vocal, Mary Mills se défend bien,
sauf dans les graves, vraiment trop sourds.
Le nain est représenté
par une marionnette en smoking blanc, actionnée par le ténor
Robert Brubaker en smoking noir, auquel il est lié par les pieds
et les mains. Le premier frisson d'excitation passé devant la nouveauté,
on est bien obligé de se rendre compte qu'il s'agit là d'une
fausse bonne idée : occupé à actionner sa marionnette,
le chanteur ne fait passer aucune expression sur son visage, ne rend éloquent
aucun jeu de scène, pas plus, bien évidemment, que son pantin.
L'action devient donc assez rapidement statique et sans vie. Vocalement,
l'interprète ne connaît que les nuances forte et fortissimo.
Certes, la musique s'y prête, certes, les cris de désespoir
du nain voyant pour la première fois sa laideur devant un miroir
sont déchirants, mais il me semble qu'un peu plus de nuances et
de raffinement auraient été souhaitables.
C'est également le cas de l'Orchestre
de l'Opéra de Paris, qui joue beaucoup trop fort et ne s'embarrasse
pas de fignolages.
L'orchestre ne fera pas non plus grand
cas des raffinements sonores dans la deuxième partie de la représentation
: bien sûr, Ravel sera joué moins fort, mais "à côté"
des chanteurs : on a l'impression tout du long que chef et instrumentistes
exécutent leur partie sans chercher à savoir ce qui se passe
sur scène. Aucune symbiose, donc, entre fosse et plateau.
La mise en scène de L'enfant
et les sortilèges est jolie, amusante, et bourrée de trouvailles
originales et bienvenues : la princesse coupée en deux (souvenez-vous,
l'enfant a déchiré le livre !), le fauteuil et la bergère
rétrécis passant sous la porte, la théière
sous les traits d'un boxeur black, les pastoureaux et pastourelles du papier
peint, costumés et grimés dans des tons fanés, les
arbres agités par le vent, autant d'idées drôles et
poétiques. Une vraie réussite !
Franck Leguérinel en horloge
déboussolée ou en chat lubrique, Jean-Paul Fouchécourt
en théière-boxeur, en maîtresse d'école frustrée
ou en rainette amoureux de la libellule sont impayables, et vocalement
très bons. Felicity Palmer est somptueuse comme à son habitude.
Le reste de la distribution est un peu fade, à l'image de Désirée
Rancatore, au chant joli et soigné, mais légèrement
maniéré, et pas très compréhensible. Qu'importe,
cette deuxième partie de soirée fut vraiment très
agréable !
Catherine SCHOLLER