Guillaume Rovery

Mozart et Da Ponte se rencontrent chez le baron Wezlar, riche juif converti, alors protecteur, sinon mécène, de Mozart. Da Ponte lui propose d'écrire le livret d'un opéra qu'il mettrait en musique. Mozart écrit à son père le 7 mai 1783 : " ... Ici à Vienne, nous avons un certain Da Ponte. Maintenant il est très pris par les modifications à apporter aux livrets. Il s'est engagé à en faire un tout nouveau pour Salieri. Ce ne sera pas prêt avant deux mois. Après, il m'a promis d'en faire un nouveau pour moi ; mais qui sait s'il pourra tenir parole... ou s'il voudra ! Vous savez fort bien que messieurs les italiens sont très aimables en face ! Suffit, nous les connaissons ! S'il s'entend avec Salieri, de ma vie je n'aurai un livret..." Deux mois plus tard, Da Ponte dément les doutes de Mozart et lui propose Lo Sposo deluso (le Mari déçu), bouffonnerie assez vulgaire au goût du compositeur qui tardera à se mettre au travail. Il faut dire que Da Ponte n'est pas entièrement satisfait de ce livret (il omettra d'en parler dans ses Mémoires). Mais en 1785, c'est Mozart qui revient vers lui ; Da Ponte explique : "Je compris facilement que l'immensité du génie de Mozart exigeait un sujet de drame vaste, multiforme, sublime. Causant un jour avec lui, il me demanda si je pourrais mettre en opéra la comédie de Beaumarchais intitulée : Les Noces de Figaro (sic). Mais il fallait surmonter une grosse difficulté. Peu auparavant cette pièce avait été interdite au théâtre allemand par ordre de l'Empereur sous prétexte qu'elle était trop légère pour un auditoire distingué." Da Ponte intervient auprès de Joseph II et avec force persuasion, convainc le monarque d'entendre divers morceaux composés par Mozart. La postérité reconnaît à Joseph II un goût très sûr en territoire musical, bien supérieur à celui de l'immense majorité de ses sujets viennois. Da Ponte rapporte que l'Empereur fut "étourdi". Non sans avoir essuyé quelques coups bas et autres mesquineries dictées par la jalousie haineuse de certains, Mozart et Da Ponte peuvent savourer le franc succès de la première représentation des Noces de Figaro, le 1er mai 1786 au théâtre de la Cour de Vienne. L'année suivante, ce sera Il Dissoluto punito, ossia il Don Giovanni (dont le succès n'est pas immédiat), puis en 1790, Così fan tutte, sans doute le chef d'œuvre de leur collaboration.

Mozart meurt en décembre 1791, année au cours de laquelle il écrit de nombreux chefs d'œuvre (citons La Clémence de Titus, La Flûte enchantée, et le Requiem, inachevé). Quant à Da Ponte, la mort de Joseph II en 1790, le contraint à quitter l'Empire. De Prague, il va à Dresde, puis s'installe à Londres pour treize ans. Il effectuera un séjour en Hollande en 1793, un autre en Italie en 1798. Il finit ses jours dans la médiocrité, successivement comme épicier, libraire et professeur d'italien à New York. Il y publie ses Mémoires qui seront assez mal accueillies. Il connaît un moment de gloire en 1825 pour la première new-yorkaise de Don Giovanni. Treize ans plus tard, il meurt dans l'indigence la plus totale.

Guillaume Rovery