Maria
Madre di dio
A. Vivaldi (1678-1741)
Stabat Mater
pour alto, cordes et basse continue
RV 621
G. F. Haendel (1685-1759)
Ah ! Che troppo ineguali,
cantate pour soprano, cordes
et basse continue, HWV 230 *
A. Scarlatti (1660-1725)
Salve Regina à
deux voix en fa mineur
G. F. Ferrandini (1705-1793)
Il pianto di Maria : "Giunta
l'ora fatal"
cantate sacrée pour soprano,
cordes et basse continue HWV 234 *
[ * Partitions éditées
à partir de manuscrits par Dominique Visse ]
Agnès Mellon, soprano
Matthew White, alto
Ensemble Arion
Monica Huggett, violon
et chef invitée
Enregistré en février
2003.
Un disque ARION EMCCD-7757
en vente sur le site http://www.early-music.com/home.asp
Cette anthologie dédiée à
la Vierge réunit trois chefs-d'oeuvre qui ont connu des fortunes
bien diverses depuis que s'est amorcé le vaste mouvement de redécouverte
de la musique ancienne. La cantate
Il pianto di Maria : "Giunta l'ora
fatal", longtemps attribuée à Haendel, est sans nul doute
la plus rare. C'est également son interprétation qui fait
tout le prix de l'album. Sauf erreur, elle n'a été enregistrée
qu'une fois, il y a dix ans, par Anne Sofie von Otter et l'ensemble Musica
Antiqua Köln, placés sous la direction de Reinhard Goebel (ARCHIV).
La cavatine
"Se d'un Dio fui fatta Madre", sublimée par les
couleurs crépusculaires et les inflexions doloristes du mezzo, nous
touchait déjà droit au coeur et s'insinuait durablement dans
notre mémoire. S'ils rectifiaient l'erreur d'attribution dans le
livret, les pionniers annonçaient Haendel en couverture, une accroche
plus vendeuse que l'obscur Giovanni Battista Ferrandini. Elève de
Biffi, ce Vénitien arriva enfant à Munich où, de simple
hautboïste, il devint le compositeur attitré de l'électeur
Karl Albrecht. L'ouverture du nouvel Opéra de Munich en 1753 avec
son
Catone in Utica donne une idée de la renommée
qui fut la sienne en tant que compositeur d'opéra. Autre témoignage
d'estime, et non des moindres : Leopold et Wolfgang Mozart lui rendirent
visite dans sa dernière demeure à Padoue, en 1771.
La Vierge de Ferrandini est tout sauf abattue et résignée.
C'est une mère rebelle qui hurle sa douleur, accuse le Ciel d'avoir
abandonné son fils et ose des paroles menaçantes où
semble poindre un désir de vengeance, à moins qu'il ne s'agisse
d'une prophétie : "Si, à notre grand effroi, la terre tremble
maintenant, à voir un Dieu mourir parmi les tourments des criminels,
tremble aussi, Homme, car tu es terre !". L'injustice, la cruauté
du sort qui frappe Jésus lui arrachent des cris de souffrance et
de colère et lui inspirent des accents tour à tour farouches
et tendres. Les récitatifs accompagnés se révèlent
d'une efficacité redoutable et infiniment plus éloquents
que le réalisme cru, sanguinolent et malsain d'une Passion actuellement
à l'affiche des salles de cinéma. Agnès Mellon incarne
cette mère suppliciée avec une vérité bouleversante.
Son investissement est total, elle habite chaque mot, elle épouse,
sans tricher, la véhémence des affects qui la déchirent.
Le chant ardent, mais fragile de celle qui fut et sera à jamais
(1)
l'Amour, un peu vert, mais irrésistible d'
Anacréon
(Rameau), l'Ange du
Requiem de Fauré ("Pie Jesu"), Sangaride
(
Atys), Creüse (
Médée) et Télaïre
(
Castor et Pollux), n'a rien perdu de son extraordinaire pouvoir
émotionnel. L'artiste, trop discrète depuis quelques années,
nous revient comme libérée, plus extravertie et dotée
d'une assurance nouvelle.
Des cinq Salve Regina d'Alessandro Scarlatti, celui en fa
mineur pour deux voix, deux violons et continuo n'est pas vraiment une
découverte, même s'il demeure peu fréquenté.
Le Palermitain y déploie sa science du théâtre, un
art consommé du suspens et du rebonds, son goût pour les audaces
harmoniques et les dissonances et, bien sûr, une maîtrise incomparable
des voix. Monica Huguett et les solistes du chant en soulignent les contrastes
au gré d'une lecture nettement plus nerveuse que celle de Gérard
Lesne et Véronique Gens (Virgin), volontiers langoureux et un rien
précieux. Toutefois, ce que nous gagnons en vivacité, nous
le perdons en sensualité et en plénitude vocale : les timbres
se marient moins bien et l'ouvrage expose les aigus parfois tendus du soprano.
En outre, une accentuation excessive et trop systématique, qui confine
parfois à la brusquerie ("Et Jesum benedictum", "O clemens"), pourra
également lasser.
Avions-nous besoin d'une énième version du Stabat Mater
de
Vivaldi ? Pourquoi pas, la discographie semble pléthorique, mais
quand on aime... on collectionne ! Chez ces dames, Marie-Nicole Lemieux
et Sara Mingardo viennent de succéder, très dignement, à
la légendaire Aafje Heynis, privilégiant l'intériorité
et la ferveur ; en revanche, parmi les récentes lectures masculines,
tout oppose David Daniels, grandiloquent et affecté, à l'angélique,
mais un rien placide Andreas Scholl. Matthew White s'imposera-t-il ? Le
choix de tempi singulièrement vifs en déroutera plus
d'un et le chant, très direct et sans flatterie, du jeune contre-ténor
leur paraîtra sans doute un peu fruste. Et pourtant, qu'ils tendent
l'oreille et replongent dans le texte : la vigueur de l'expression et sa
puissance évocatrice (des termes "pertransivit gladius" jaillissent
des images saisissantes et pourtant littérales) nous livrent le
drame de la mère dans sa brutalité, sans apprêts inutiles
- point d'ornements incongrus ici (Biondi) ni de coquetteries vocales (Lesne).
Un retour aux sources suffit parfois à renouveler l'approche d'un
tube...
En prime, la brève cantate commandée à Haendel
par le cardinal Colonna pour la célébration des fêtes
de la Madonna del Carmine en 1708 : Ah ! Che troppo ineguali, également
au programme du récital marial d'Anne Sofie von Otter en 1994. La
dramatisation fait encore une fois toute la différence, mais non
la supériorité de cette nouvelle gravure. Certains préféreront
l'imploration moins pressante du mezzo. "Penchez-vous sur les mortels et
éteignez en eux toute étincelle porteuse de la furie guerrière"
: alors que la Suédoise n'aspire qu'à la paix, c'est comme
si la Française était hantée par la guerre de Succession
d'Espagne, qui faisait alors rage jusqu'en Italie. Les deux approches se
tiennent et il n'est pas nécessaire de choisir. La qualité
du répertoire et la performance exceptionnelle d'Agnès Mellon
dans Il Pianto di Maria, justifient amplement l'acquisition de cet
enregistrement déjà couronné
par la presse canadienne.
Bernard SCHREUDERS
Anacréon
- Rameau - direction W. Christie (CD Harmonia Mundi)
Requiem
- Fauré - direction P. Herreweghe (CD Harmonia Mundi)
Atys
- Lully - direction W. Christie (CD Harmonia Mundi)
Médée
- Charpentier - direction W. Christie (CD Harmonia Mundi)
Castor
et Polux - Rameau - direction W. Christie (CD Harmonia Mundi)