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Giuseppe Verdi (1813-1901)
AÏDA
opéra en 4 actes
livret d’Antonio Ghislanzoni
d’après un scénario d’Auguste Mariette
Aïda : Nina Stemme
Amnéris : Luciana D’Intino
Radamès : Salvatore Licitra
Amonasro : Juan Pons
Ramfis : Matti Salminen
Le Roi : Günther Groissböck
Un messager : Miroslav Christoff
Une prêtresse : Christiane Kohl
Zurich, Opernhaus
Orchestre et chœurs de l’Opéra de Zurich
Direction : Adam Fischer
Mise en scène : Nicolas Joël
Décors : Ezio Frigerio
Costumes : Franca Squarciapino
Film enregistré en public à l’Opernhaus de Zurich en mai 2006
sous la direction d’Andy Sommer
Menus et sous-titres en cinq langues
Bonus : « Interview d’Andy Sommer », par Louis Wallecan
(France, 2006, 13’), et « La Vraie fausse histoire d’Aïda »,
un film de Louis Wallecan (France, 2006, 52’).
Edité par BelAir classiques,
PAL-Secam 16:9 toutes zones
Durée : 152’, plus deux bonus de 52’ et 13’
Aïda sous le feu des canons
Il y a quatre manières différentes de mettre en scène Aïda :
imiter l’Égypte ancienne, recréer
l’Égypte ancienne, réinterpréter
l’œuvre en changeant l’opéra
d’époque, et adapter l’œuvre d’une
manière contemporaine. Ici, nous sommes dans la troisième
possibilité : l’action est transposée dans les
années 1880, au moment où le règne
d’Ismaïl Pacha bascule. Finis donc les décors
pharaoniques, les colonnes gigantesques et les costumes approximatifs
d’une Égypte antique de pacotille. Mais
d’Égypte réelle, point non plus : nous sommes
dans le domaine d’un empire colonial, soutenu par
l’armée. Ce point de vue n’a guère de
caractère novatoire puisque c’est un principe
adopté dans nombre de productions « remises dans leur
époque », et qu’en ce qui concerne Aïda,
c’est celui qui avait été employé notamment
en 1987 par Gilbert Deflo et William Orlandi au Scottish Opera de
Glasgow et à la Monnaie de Bruxelles, et en 1997 par Jamie Hayes
à Belfast.
Comme le souligne Nicolas Joël, il s’agit moins de rendre
l’opéra lui-même tel qu’il a été
conçu, que « le pendant emblématique et le
croisement des obsessions d’une époque ». Et si
Claudio Casini, dans le livret d’accompagnement (32 pages, en
trois langues), admet que l’opéra offre à
« la petite bourgeoisie de la fin du Second Empire la
possibilité d’effectuer un voyage imaginaire sans avoir
à quitter son chez-soi », il souligne surtout
qu’il lui offre aussi « un rêve colossal de
suprématie européenne ». Nous sommes donc
là à la limite des errements longuement
développés par Edward Saïd dans ses ouvrages, mais
qu’importe, pourvu que le spectacle soit beau et fonctionne, ce
qui est le cas.
Globalement, tout est parfaitement plausible. Aïda n’est pas
passée au brou de noix, mais ce n’est pas choquant !
Amnéris porte une robe à tournure et un adorable bibi
à plumes. Quant à Radamès, il arbore un uniforme
militaire qui est certes plus seyant pour un ténor enrobé
qu’un pagne égyptien… Des uniformes
chamarrés cohabitent fort bien avec l’habituelle note
d’orientalisme qu’apporte le tarbouche. Amonasro est lui
aussi en uniforme genre tenue de brousse, un peu fadasse, et l’on
se prend quand même à regretter l’habituel homme des
bois, le méchant sauvage (encore une vision
colonialiste !). Et pour une fois, un messager blessé, en
triste état, remplace les habituelles gravures de mode entrant
sagement en scène pour débiter leur rapport. Le
décor, limité à une vaste véranda,
mêle au fil des actes des éléments additionnels
tels un œil oudjat, un cuirassé et une pyramide. Seul
point faible, le triomphe de Radamès : le fond de la
véranda s’ouvre sur un cuirassé, canons
pointés sur l’assistance ; les convives viennent voir
de près les prisonniers, enfermés dans des cages comme au
zoo : une fois les cages ouvertes, ce sont eux qui dansent le
traditionnel ballet ; il s’agit là certainement de la
seule faiblesse de la mise en scène. En revanche, la
scène finale, inspirée de la pyramide-tombeau de Canova,
dont Amnéris referme la porte, est fort belle.
Sous la solide direction d’Adam Fischer, des chanteurs de premier
plan se partagent la vedette. Nina Stemme, grande Yseult de Bayreuth et
vraie tragédienne, tire fort honorablement son épingle du
jeu, sauf dans l’air du Nil où, comme beaucoup de ses
consœurs, elle accuse une certaine fatigue (la voix bouge, avec
des problèmes de justesse et d’émission, et des
aigus difficiles). Salvatore Licitra est parmi les meilleurs
Radamès du moment, et son diminuendo à la fin du Celeste Aïda
est un modèle du genre. Mais son côté
vériste au troisième acte, presque crié, ainsi que
certains sanglots, notamment à la fin, sont moins bien venus.
Luciana d’Intino est elle aussi, avec Dolora Zajic, une des
meilleures Amnéris qui soient : la voix est puissante, la
tessiture est large sans changement de registre, elle chante toutes les
notes de la partition, et nous gratifie de jolies nuances. Juan Pons et
Matti Salminen, qui ne sont plus au sommet de leur art, pâtissent
quelque peu de tels partenaires. La mise en place d’acteurs est
extrêmement scrupuleuse et respectueuse de
l’histoire : ici, pas de contresens, mais au contraire une
volonté de rendre plausibles toutes les situations. Le seul
point qui paraît un peu faible est la qualité sonore
moyenne de l’enregistrement ; l’orchestre semble souvent
manquer de clarté.
On commence maintenant à disposer en vidéo d’un bon
nombre de types de mises en scènes différentes pour Aïda.
Celle-ci marque dans ce domaine un moment important, et du fait de la
qualité de l’ensemble de la production, se doit de figurer
dans toute vidéothèque d’opéraphile.
Bonus 1 : « Interview d’Andy Sommer », par Louis Wallecan (France, 2006, 13’).
L’interview du réalisateur de la captation est
particulièrement intéressant, car il explique à la
fois ses choix personnels, sa manière de travailler, et sa
relation avec la mise en scène de Nicolas Joël, qu’il
se devait de servir sans la trahir. Comme il le souligne,
« on ne filme pas un opéra, on filme la mise en
scène d’un opéra ». Il démontre
en commentant un passage de son film, comment il s’est
efforcé de toujours bien placer chaque personnage dans le
décor. Enfin, il explique son parti pris de « split
screens » (images multiples dans un seul cadre) permettant
de montrer des actions simultanées, ce qui est une des
originalités de cette captation. Mais s’il est parfois
intéressant de voir dans deux images deux chanteurs
éloignés l’un de l’autre, ou encore une vue
panoramique des figurants, un détail de ceux-ci et une
clarinette dans l’orchestre, la taille de nos écrans TV,
sauf à avoir le dernier cri des écrans plats, divise
l’image et la rend peu lisible. Le réalisateur
n’abusant pas de ce procédé, il lui sera beaucoup
pardonné.
Bonus 2 :
« La Vraie fausse histoire d’Aïda »,
un film de Louis Wallecan (France, 2006, 52’).
Si vous avez envie de voir, sur fond d’Aïda
jouée sur un Bösendorfer, un documentaire sur le Caire, ses
échoppes, ses chats errants, ses paraboles, ses chauffeurs de
taxi et leur perpétuel clackson, ses avions bruyants, ses
tunnels éprouvants et ses souks à touristes, avec en
prime d’interminables interviews de qualité très
inégale, ce film vous ravira. Mais que d’images
approximatives, et surtout quelle faiblesse historique, quel dommage de
ne pas avoir fait appel à un historien d’Aïda et
à un égyptologue pourtant bien faciles à
trouver : là, la « vraie-fausse »
histoire d’Aïda aurait pris tout son sens, plutôt que
ce fatras inorganisé.
Pourtant, si on a le courage de le visionner en entier, on trouve dans
ce film quelques grands moments. On craque littéralement
à écouter Chafik Chamass, fondateur et directeur de la
revue « Aujourd’hui l’Égypte »
et grand humaniste qui, dans un français plein de poésie
comme on n’en parle plus de nos jours, évoque –
entrecoupé par un montage anarchique – toutes les facettes
d’Aïda. Et quand on lui dit « on a déjà donné Aïda
l’an dernier », il répond :
« on peut continuer à écouter Aïda tous
les jours »…
Autre moment de grande émotion, l’évocation par le
ténor Hassan Kamy, témoin de l’incendie de
l’opéra du Caire par une triste journée de 1971, du
sauvetage de quelques partitions et de l’attente pendant 5 heures
de l’arrivée des pompiers… Ce théâtre
tout de bois fait pour durer le temps de l’inauguration du canal
de Suez, est ainsi parti en fumée dans
l’indifférence quasi générale. Mais rien
n’est dit de la perte de tous les manuscrits qui y étaient
conservés, notamment concernant Aïda.
Et seuls quelques documents sont montrés quelques furtives
secondes, alors qu’un petit musée ouvert en 2005 dans le
foyer du nouveau Centre culturel-opéra (1988) les regroupe.
Enfin, les liens entre Aïda
et la musique arabe sont bien vus par Fathy Salama,
compositeur-arrangeur. Mais si l’évocation d’un
métissage des musiques est intéressante, on est quand
même loin de « Mozart
l’Égyptien »… On vous dit même
qu’Aïda n’a jamais été traduit en arabe,
car il faudrait une véritable œuvre de
réécriture mettant chaque syllabe sur chaque note, alors
que chacun sait qu’au moins des extraits en sont chantés
dans le célèbre film éponyme avec Oulm Kalsoum.
Fait d’enchaînements sans queue ni tête et de propos
vagues et approximatifs sans explications et donc sans signification,
le film de Louis Wallecan présente tous les défauts de
beaucoup de réalisateurs d’aujourd’hui : donc un
beau sujet à reprendre !
Jean-Marcel Humbert
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