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Roberto Alagna

Bel Canto

Vincenzo Bellini - Gaetano Donizetti
Récital díairs díopéras

Airs extraits de :
Il Pirata, La Sonnambula, Norma, I Puritani
de Vincenzo Bellini,

et de
LíElisir díamore, Roberto Devereux, Poliuto, 
La Fille du régiment, La Favorite, 
Don Pasquale, Dom Sébastien roi de Portugal
de Gaetano Donizetti.

Roberto Alagna Tenor
London Voices
London Philharmonic Orchestra
Evelino Pidò direction



Cet ambitieux programme nous présente des extraits d'opéras composés entre 1827 et 1843, période romantique par excellence mais les choix sont parfois curieux voire frustrants. En effet, pourquoi ne chanter que la cavatine d'un air alors que la cabalette qui suit est tout aussi intéressante (Il Pirata), d'autant que ce récital a prévu Choeur et comparses ! Pourquoi ne faire que la première exposition de la cabalette de Pollione ? Pourquoi ne pas chanter la suite du duo de La Sonnambula alors qu'une Amina (Angela Georghiu) prenait déjà en charge ses quelques répliques durant le long passage soliste du ténor ?... Pourquoi couper les récitatifs et commencer les airs d'emblée, sans la préparation de l'atmosphère proposée par la "Scena" (ou récitatif élaboré) ?
On est agréablement surpris, en revanche, de découvrir la présence du prélude du tableau entièrement consacré aux adieux à la vie de Roberto Devereux, La Scena suit, puis la cavatine, éthérée à souhait... mais on est privé de la cabalette !

On constate également avec plaisir le choix inhabituel des romances du premier acte de Don Pasquale et de L'Elisir. Digne de louange est le fait d'avoir retenu l'air de Poliuto, non conventionnel car à la place de l'habituelle forme cavatine-cabalette, il présente un énergique Arioso agitato, reflétant la jalousie du personnage, puis une calme et lumineuse cabalette de pardon. A la scène, il n'y a jamais moyen d'entendre cette cabalette dans sa totalité, on en coupe toujours le "Da capo"... que Roberto Alagna fait ici (1)!... Mais par contre, il coupe l'arioso, Dieu sait pourquoi !

Précisément, cette douce cabaletta est quelque peu malmenée par les attaques brusques et appuyées du ténor, alors que le texte, explicite de la mystérieuse conversion du personnage, dément toute véhémence : Poliuto dans sa prison, est ébloui par ce "divin rayon" qui libéra sa vue du voile de la jalousie.

Ce Poliuto trop combatif de Roberto Alagna est racheté par un Ernesto (Don Pasquale) plaintif et délicatement passionné, laissant mourir sa plainte avec le son, sur ses lèvres qui sussurent ! De même, la naïve fébrilité de Nemorino (L'Elisir) convient à merveille au chanteur... et donc peut-être aussi à l'homme ?...  Son Roberto Devereux n'a pas pris une ride depuis ses débuts dans le rôle, dix ans auparavant à l'Opéra de Monte-Carlo : même éclat, même passion désespérée comme le veulent musique et paroles... Roberto se permet des coups de glotte ? et alors, d'autres très grands l'ont fait avant lui !

Certes, il est curieux de constater comme après l'avènement d'un Pavarotti, au chant épuré et empli du seul soleil (mais quel soleil !) de sa voix, on retourne avec Roberto Alagna aux coups de glotte, aux "sanglots incorporés" à la ligne de chant, selon le secret de Beniamino Gigli, d'ailleurs ouvertement admiré par Roberto. Passons-lui cette petite préférence, dont il réussit à ne pas abuser... comme cette pointe d'accent français, dans la prononciation de l'italien, décidément terrible pour tout Français, mais les racines de Roberto limitent les dégats, ne lui laissant, vraiment, qu'une pointe d'accent français !

En revanche, les Donizetti français sont exemplaires de diction et d'engagement dans ces personnages hybrides, à la psychologie française et au coeur italien, de style grand-opéra mais marqués de la chaleureuse patte donizettienne. Roberto Alagna séduit par la spontanéité de sa diction claire, naturelle et expressive au possible, et nous réconcilie avec la naïveté des textes d'Eugène Scribe et les sonorités de cette langue, tellement moins belles (au sens de "lyriques") que celles italiennes. A tel point que tout un public ne peut s'y faire et repousse en bloc le retour aux versions originales françaises de ces opéras de style français mais composés par des Italiens, leur préférant une traduction même infidèle, comme c'est le cas de La Favorita.

Vocalement, les choses se gâtent un peu avec La Fille du régiment et ses fameux contre-uts attaqués en force mais d'un chant forcé, hélas, ouvert, appuyé et curieusement un peu débraillé. C'est d'autant plus regrettable que le neuvième et dernier aigu est, lui, superbe. L'éclat est une chose, le chant en force en est une autre, d'autant que ce dernier peut devenir du chant "forcé" (nous y reviendrons), et c'est dommage. Quelques attaques brusques choquent et font presque sursauter (les fameux contre-ut de La Fille du régiment), une certaine véhémence dérange parfois vraiment (cabalette de Pollione dans Norma). Certes, on a connu des Pollione-stentor comme Mario Del Monaco mais avec une insolence naturelle, une générosité époustouflante et non affectée. 

Roberto Alagna réussit pourtant à "alléger" dans l'attaque du sublime duo de La Sonnambula, qu'il conduit avec une belle maîtrise, et cette fois, une remarquable générosité à son tour, accompagné d'une attentive Angela Gheorghiu, pour nous offrir un Elvino consistant et vraiment généreux, comme on n'en entend plus... la Stretta conclusive du duo manque vraiment ! On retrouve avec plaisir cette finesse et cette générosité en son Son Lord Arturo Talbo (malgré les coups de glotte étonnant toujours, tant on n'y est plus habitué), dans ce compromis air-ensemble concertant de I Puritani, avec une parfois trémulante Elvira, à force d'être vibrante. Du pirate Gualtiero, nous n'avons qu'un petit "cliché" par le curieux boléro du premier acte et ce portrait est satisfaisant, à part un aigu malheureusement un peu tendu et peu séduisant.

A la décharge de Roberto Alagna, l'éclat, la force de la passion font également partie du Romantisme, autant que l'abandon suave : n'oublions pas que son souci de réalisme, son goût pour les sujets passionnés voire sanglants et lugubres, le fit accuser par les Classiques de ce que l'on pourrait nommer de "vérisme" outrancier avant la lettre ! Bien avant cela, Rousseau écrivait déjà : "la musique française veut être criée ; c'est en cela que consiste sa plus grande expression" et pour condamner cette recherche d'expressivité en forçant la voix, le public étranger inventa l'expression péjorative de "Urlo alla francese" (hurlement à la française). Et pourtant, en pleine période romantique italienne, une expression fit écho à celle-ci lors de la création de la Parisina de Donizetti (1833), et le public se sépara en deux factions, divisées à propos du chant "spinto" ou "poussé" que Donizetti avait écrit pour les deux héros, interprétés par Carolina Ungher et Gilbert Louis Duprez. Si l'on écoute aujourd'hui la délicate Parisina, précisément à l'origine de l'expression de "l'Urlo donizettiano" (hurlement donizettien), on se demande ce que l'on aurait pu dire du chant à venir, tel que le concevraient Wagner ou la "Jeune École italienne" !

A côté de ces moments de chant trop "spinto", pour ainsi dire : trop "poussé" ou "forcé", Roberto Alagna ravit par son timbre chaleureux, ses graves amples, ses nuances en "diminuendi" fort appréciables, ses aigus pleins et percutants, qui lorsqu'ils ne sont ni tendus ni forcés, sont fort impressionnants. A ces beaux avantages s'ajoutent le charme retrouvé des coups de glotte à l'ancienne et sa si belle diction française, nous délivrant des cocasses "jè vèè mâârrrché sous vooh drapoooh".

Les inconditionnels de Roberto Alagna seront probablement ravis ; ceux qui aiment d'abord Donizetti et Bellini avant tout interprète, ne seront pas comblés mais ne regretteront pas la fraîcheur de cette promenade dans les roseraies romantiques respectives mais contiguës de Gaetano et Vincenzo. Il faut dire que le brillant guide-jardinier a un talent certain !
  


Yonel Buldrini


note (1) : Comme Chris Merrit, du reste, dans son récital Philips de 1993... mais avec líArioso !


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