AMOR
Richard Strauss
Opera Scenes & Lieder
Ariadne auf Naxos : GroBmächtige
Prinzessin
Ariadne auf Naxos : Kindskopf!
Merkt auf
Ariadne auf Naxos : An
Ihre Plätze
4 Brentano Lieder
Arabella: Ich danke, Fräulein
Der Rosenkavalier : Mir
ist die Ehre wiederfahren
Der Rosenkavalier : Marie
Theres'
Der Rosenkavalier : Ist
ein Traum
Natalie Dessay: Zerbinetta, Zdenka,
Sophie, Lieder
Felicity Lott: Primadonna, Arabella,
Marschallin
Angelika Kirschlager: Octavian
Sophie Koch: Komponist
Thomas Allen: Musiklehrer, Faninal
Orchestra of the Royal Opera
House, Covent Garden
Antonio Pappano
1 CD Virgin, 7243 5 45705 20
Longuement annoncé et depuis longtemps attendu, le voici donc,
cet "Amor" qui réunit quelques-unes des plus belles fleurs straussiennes
actuelles pour un bouquet de pages qui sont parmi les "tubes" du répertoire
lyrique. Le programme en est des plus joliment conçus et derrière
chaque morceau, chaque note ici enregistrée, perce la sensation
du plaisir qu'a pu prendre l'équipe réunie durant ces sessions
d'enregistrement. Cette équipe est d'ailleurs sans doute le point
fort de l'album et c'est peut-être aussi là que pèche
le plus le travail éditorial de Virgin. Toutes considérations
vaguement chauvines mises à part, il ne fait en effet aucun doute
que le disque a été conçu pour (et autour de) Natalie
Dessay. Si la pochette de l'album pouvait laisser planer un doute hyperbolique
sur la question (il faut pourtant la retourner pour voir timidement apparaître
de petites photos des... comprimarii), la notice hagiographique qui l'accompagne
(celle du nommé David Nice et non la virtuose et très spirituelle
contribution d'André Tubeuf) s'avère d'une platitude désespérante,
poignante presque, insipide et indigne en tout cas. Ah bon ! Il faut pour
Ariadne "
une chanteuse aussi intelligente et sensible au texte que l'est
Natalie Dessay"! Cette Natalie Dessay que le même prosateur affuble
du charmant sobriquet de "notre héroïne" est heureusement entourée
des meilleures partenaires, en l'occurrence "l
a remarquable Angelika
Kirschlager" et "
une mezzo-soprano intelligente que [sic]
Sophie
Koch". Le mélomane a certes fait la démarche d'acheter
le disque avant d'accéder à cette mercantile plaquette, mais
le marketing qui pollue l'opération s'avère défavorable
à la crédibilité de l'ensemble.
Au petit jeu de la célébration, Felicity Lott ne recueille
comme maigres lauriers que le qualificatif d' "exemplaire" accolé
à sa Maréchale et à son Arabella. Exemplaire seulement
? Non, évidemment ! Bien plus que cela, Lott qui n'a plus aujourd'hui
ni l'âge ni même l'exacte voix de l'un ou l'autre personnage,
a ce qui ne s'apprend pas : la féminité épanouie presque
oppressante, l'abandon aussi, le détachement enfin. Sa Maréchale
est connue et nous ne reviendrons pas sur ses qualités, mais son
Arabella, le temps d'un seul duo, impose ici une vision majeure, impériale.
La légèreté de l'émission, la distanciation
presque pour ce personnage de jeune bourgeoise à la fois impatiente
et blasée, sont de premier ordre. Le soin apporté à
la ligne comme le velouté un temps retrouvé du timbre, le
sfumato de l'émission, tout ici donne à cette Arabella
trop fragmentaire un caractère de légende sauvée de
l'oubli. Le temps de quelques répliques enfin, Lott se métamorphose
en une prima donna d'Ariane à Naxos sous acides, au bord
de la rupture nerveuse, virtuose dans le ridicule... Du grand art tout
simplement.
Deux mezzo-sopranos se partagent les interventions de travestis. Sophie
Koch est déjà le Komponist de sa génération
et les quelques extraits conservés ici en témoignent avec
éloquence. Le timbre est magnifique, cossu, chaleureux, libre dans
le grave, palpitant dans l'aigu, légèrement ombré
dans le medium. Le personnage, lui, est justement saisi dans toute sa fougue,
d'un lyrisme éperdu mais aussi amoureusement déployé
comme on n'en a plus entendu depuis Seefried et Varady. Angelika Kirschlager,
elle, se voit confier la sélection du Rosenkavalier. Son
Oktavian, dont elle est peut-être aujourd'hui l'interprète
idéale, rayonne d'humanité, de ce trouble adolescent que
Strauss et Hoffmanstahl se sont attachés à décrire
dans toutes les évolutions. Un peu gauche à la présentation
de la rose, ému et presque ténu de projection, le jeune homme
campé par Kirschlager touche du doigt, le temps du trio final, les
tourments de l'âge adulte comme une frontière au-delà
de laquelle il sera impossible de vivre comme avant. Le personnage y perd
de sa légèreté mais y gagne indéniablement
en poids vocal, la ligne mâle et comme protectrice au bras de Sophie
pour l'ultime rideau de l'ouvrage.
Chacune de ces prestations semble pourtant devoir être éclipsée
par celles de Natalie Dessay, straussienne protéiforme pour cet
album aux multiples facettes. Germanophone et germanophile, l'artiste comprend,
sait d'instinct quel affect se cache derrière chaque mot. Cela donne
une Zerbinette usée qui dissimule mal les fêlures de son coeur
déçu, hystérique et jamais coquette. Cela donne aussi
des Brentano noyés de mélancolie, d'un lyrisme tendu jusqu'à
la rupture. Cela donne enfin une Sophie d'une simplicité de vraie
jeune fille que l'on vient d'arracher à son couvent. Comme chez
Lott, la féminité de Natalie Dessay irradie le texte, le
pare de couleurs voluptueuses, de cette grâce impalpable aussi qui
suinte de chaque note et habille le son. Pour autant ; il serait de vain
de vouloir faire de l'artiste, à ce stade de sa carrière,
la straussienne du moment. Le compositeur, proverbialement qualifié
de chantre de la femme, ne peut se réduire à la seule qualité
textuelle de sa production. Son oeuvre est aussi affaire de vocalité,
d'hédonisme même avec, pour certaines pages, cette qualité
presque désincarnée, cette faculté de "flotter" au
dessus de la portée qui lui reste attachée. Or la voix de
la chanteuse française affiche ici des stigmates qu'aucun art ne
saurait cacher (1). Car les pages
choisies surexposent les fêlures de l'organe : l'air de Zerbinette
(où Dessay se trouve plus à l'aise, il est vrai, en studio
que sur le plateau de l'opéra Garnier), magistral de présence
fauve, est particulièrement cruel à cet égard, témoignant
d'un aigu durci, violent et violenté, et d'un souffle malmené.
Sophie qui est ici saisie dans ses pages les plus hédonistes appelle
plus de légèreté dans le timbre (la projection est
même presque trop franche dans le trio final), cet aigu impalpable,
cette capacité à tenir de manière imperceptible une
ligne en perpétuelle ascension que Natalie Dessay a perdue dans
le beau mûrissement de sa voix. Les Brentano, magnifiques on l'a
dit dans leur perception du texte, loin de toute velléité
décorative, accusent là encore des sons poussés, une
tenue qui met perpétuellement en danger l'artiste, quand bien même
la virtuosité pleine d'ébriété de "Als mir
dein Lied erklang" est assumée avec un aplomb admirable et la
délicatesse d'un battement d'aile de papillon. La ligne de "Amor"
est même presque débraillée par surcharge d'intentions.
C'est d'autant plus dommage que le disque offre de vraies merveilles comme
les duos d'Arabella et du Chevalier (le duo final surtout,
à peine susurré, en lévitation et d'une parfaite qualité
d'émission).
Pappano, lui, joue la carte du son virtuose, aussi bien dans l'emphase
(la présentation de la rose) que dans le caractère chambriste
(Ariane évidemment), osant le parti du son pour lui-même,
absolument magnifique mais aussi un peu creux, laissant le théâtre
d'une certaine manière en retrait, extérieur à l'action
et ne retrouvant ses marques que pour un bouquet de Brentano irradiants,
jeu d'inflexion, d'échos entre la voix et l'orchestre, d'une incroyable
faconde et simplement magiques. Osera-t-on dire alors pour résumer
qu'il manque à tout cela, comme chez Solti en son temps, une once
de viennoiserie, cette moiteur très Mitteleuropa dans le chant d'orchestre,
cet art aussi du sous-entendu, du second degré, de cette valse des
vivants défiant la vie même ? Sans doute un peu du charme
inhérent à cette musique s'est-il égaré entre
Tamise et Danube.
Un bel album cependant, magnifique par bien des côtés,
construit autour d'une Natalie Dessay artiste intègre, attachante
comme toujours mais aux prises avec un organe refusant de seconder sa conception
de l'univers straussien. Album hanté par le spectre d'une génération
qui passe avec panache et tact, qui permet le "repêchage" in extremis
de moments ineffables de Felicity Lott, porteur aussi de bien d'espoirs
et de promesses réalisées, habité toujours et cependant
jamais vraiment irréprochable (mais n'est-ce pas, après tout,
une quête impossible), osant l'interprétation dans ce qu'elle
a de plus fouillé et recelant quelques trésors de vocalité.
Benoît BERGER
_______
(1) Il n'est pas question
ici de revenir sur les problèmes de santé dont Natalie Dessay
a été victime. La réduire même, avec compassion,
à ce seul événement, vouloir la confiner dans cette
posture d'éternelle rescapée du monde lyrique que l'on retrouve
en filigrane sous de nombreuses plumes n'est pas rendre service à
son talent et à son implacable volonté.
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