Antonio VIVALDI and Others
Andromeda
liberata
Simone Kermes (soprano), Andromeda
Max Emanuel Cencic (contre-ténor),
Perseo
Katerina Beranova (soprano),
Cassiope
Anna Bonitatibus (mezzo-soprano),
Meliso
Marck Tucker (tenor), Daliso
Venice Baroque Orchestra
La Stagione Armonica
Andrea Marcon
Enregistré en janvier 2004
ARCHIV-PRODUKTION 00289 477 0982
Ironie du sort, c'est au conservatoire
Benedetto Marcello de Venise, du nom de cet aristocrate musicien ennemi
juré de Vivaldi et pourfendeur de l'opéra, que sommeillait
cette partition anonyme entourée de nombreux mystères. Il
y a fort à parier que si le musicologue Olivier Fouriès n'avait
pas découvert l'
aria "Sovvente il sole" (de Perseo) dans
un manuscrit autographe de Vivaldi conservé dans les mêmes
archives, l'ouvrage n'aurait jamais été exhumé. La
paternité de cette longue aria élégiaque (près
de dix minutes !), au charme irrésistible avec son solo de violon
obligé et ses courbes vocales sensuelles, ne souffre pas de doute.
Mais le reste ? Difficile de prétendre reconnaître avec certitude
le Vivaldi de la maturité. Qui se cache derrière les "Autres"
prudemment évoqués sur la pochette ? Il pourrait en fait
s'agir d'un
pasticcio, auquel Giovanni Porta, maître de chapelle
de l'Ospedale della Pietà, et Tomaso Albinoni, auraient prêté
leur concours. Quelques pages de qualité, mais moins novatrices
rappellent d'ailleurs l'écriture du second ("Non ha tranquillo il
core" de Perseo, "Con dolce mormorio" d'Andromeda). Vivaldi ou non, la
partition contient d'autres beautés qui justifient pleinement l'entreprise,
notamment l'énergique "Peni chi vuol penar" (Daliso), le tendre
et sobre arioso "Madre, lascia ch'io senta in prima il core" ou encore
l'ébouriffant "Lo so, barbari fati" (Andromeda), sans négliger
les parties instrumentales généreusement dotées (somptueux
solos de violon de violoncelle, interventions brillantes des cors et des
trompettes).
Quant aux circonstances de la création, nous en sommes réduits
à des hypothèses... L'Andromeda liberata aurait été
donnée le 25 août 1726, sans doute à l'ambassade de
France, pour célébrer le retour du cardinal Pietro Ottoboni,
grand mélomane et mécène éclairé, banni
de Venise en 1712 pour en avoir transgressé les lois. Car la serenata
est bien un ouvrage de circonstance destiné à célébrer
un événement particulier - anniversaire, noces princières,
arrivée d'un visiteur de marque, etc. - généralement
en grande pompe. De l'opéra, elle peut atteindre les proportions
et le luxe des moyens (étoiles du chant et orchestre nourri), mais
elle ne partage guère l'élan ni la puissance dramatique.
L'Andromeda liberata ne déroge pas à la règle.
Autre inconnue : l'identité du poète ( ?) qui semble avoir
troussé à la hâte un argument abracadabrant et bien
misogyne ... Libérée, Andromède l'est déjà
au moment où cet obscur librettiste la met en scène. Médusant
de son propre regard la Gorgone et de Poséidon la créature
gloutonne, le fier et beau Persée doit encore affronter l'ingratitude
d'Andromède, conquise par "l'oeil aimable" et les "lèvres
adorables" d'un berger (Daliso). Malgré les remontrances de sa mère,
la présomptueuse Cassiopée désormais assagie, la miraculée
veut "d'abord écouter son coeur en toute liberté". Hélas
pour elle, Daliso veut, lui aussi, vivre libre, mais "loin de l'amour"
et de ses tourments. Andromède "brûle d'indignation et de
fureur", use de mille ruses pour le culpabiliser, mais rien n'y fait...
"Je te l'ai déjà dit, je ne veux pas d'amour". Dépitée,
Andromède se rappelle que faute de grives, on mange des merles.
Elle s'en retourne vers le fils de Zeus et lui tient à peu près
ce langage : "Tu as déjà vaincu deux fois, ô Persée
aimé [sic], d'abord, tu m'as ôté les liens des
pieds, ensuite, par la constance de ton amour et ta belle fidélité,
tu les appliqués au coeur". Interloqué, l'intrépide
héros se souvient d'un autre discours : "Donc cette flamme s'est
éteinte, là où avant brûlait ton coeur ?" Tombe
alors la réplique, stupéfiante de mauvaise foi, qui précipite
l'improbable lieto fine : "Ceci est ma vengeance [ ?] : je l'ai
dit, c'est vrai, mais seulement pour éprouver ta constance". Au
fait, de qui se venge-t-elle ? Persée, lui, ne se pose pas tant
de questions, aveuglé par son amour...
La médiocrité de l'intrigue et des vers ne doit pas éclipser
la richesse de l'invention musicale que révèle avec brio
le Venice Baroque Orchestra. L'ensemble d'Andrea Marcon fait ainsi une
entrée remarquée chez ARCHIV PRODUKTION. Splendeur des timbres
et des coloris, vigueur rythmique, finesse des détails et ampleur
du souffle, il ne manque qu'un soupçon d'imagination au continuo
pour emporter tous les suffrages. Si la distribution laisse parfois un
peu perplexe (notamment le soprano de Katerina Beranova, trop juvénile
pour le rôle de Cassiopée), le plateau ne démérite
pas.
L'incarnation délicate et sensible de Simone Kermes, particulièrement
dans les récitatifs, est d'autant plus réjouissante qu'on
pouvait craindre quelques broderies incongrues de la part du soprano, par
contre toujours très porté sur les sons filés et les
suraigus détimbrés. Certes, le mezzo charnu et velouté
d'Anna Bonitatibus ne trouve guère à s'épanouir dans
une tessiture fort grave (Meliso) - l'une ou l'autre reprise laisse entrevoir
des perspectives autrement excitantes et un aigu glorieux - mais son abattage
et la noblesse de son chant compensent largement ces frustrations. Dans
une partie également très centrale (Daliso), le ténor
Marck Tucker semble bridé et manque un peu d'audace dans son grand
air de bravoure ("Peni che vuol penar"), mais rien d'indigne ne vient entacher
une prestation très correcte. Persée hérite du timbre
chaud et ambigu, des graves somptueux et du fort tempérament de
Max Emanuel Cencic, ancienne vedette des Petits Chanteurs de Vienne. Son
vibrato
très présent ne sera pas du goût de tout le monde,
son chant parfois appuyé non plus, mais sa lecture habitée,
à la fois âpre et raffinée, de "Sovvente il sole",
ne devrait laisser personne indifférent.
Bernard SCHREUDERS
Commander ce CD sur Amazon.fr
Andromeda" target="_blank">