ARIADNE
AUF NAXOS
Richard STRAUSS
Der Haushofmeister: Erik Frey
Ein Musiklehrer: Paul Schöffler
Der Komponist: Sena Jurinac
Der Tenor/Bacchus: Jess Thomas
Ein Offizier: Kurt Equiluz
Ein Tanzmeister: Jon van Kesteren
Ein Perückenmacher: Walter
Raninger
Ein Lakai: Herbert Lackner
Zerbinetta: Reri Grist
Primadonna/Ariadne: Hildegard
Hillebrecht
Harlekin: Gerd Feldhoff
Scaramuccio: David Thaw
Truffaldin: Georg Stern
Brighella: Gerhard Unger
Najade: Lotte Schädle
Dryade: Claudia Hellmann
Echo: Lisa Otto
Mise en scène: Günther
Rennert
Décors & costumes:
Ita Maximovna
Wiener Philarmoniker
Karl Böhm
Enregistré à Salzbourg,
le 21 Août 1965
1 DVD TDK, DV-CLOPAAN
Après les
Noces de Figaro,
TDK inscrit à son catalogue dvd une nouvelle production du Salzbourg
des temps héroïques. Cette
Ariadne nous donne ainsi
l'occasion de retrouver certains protagonistes de l'opus mozartien (Grist,
Böhm et les Wiener Philarmoniker, bien sûr) et aussi cette atmosphère
si particulière du festival de ces années-là. La patine
du temps, une légère odeur de renfermé sautent à
la gorge du spectateur moderne. Les lumières crues, le noir et blanc
sont une fois encore là pour alimenter la nostalgie de ces temps
dont tous les commentateurs disent la magie et chantent la légende.
La mise en scène de Rennert est d'une désuétude
touchante pour qui connaît les apports de scénographies récentes.
Le prologue est pourtant bien mis en place, dans un décor de coulisses
où les personnages se croisent, se choquent, s'invectivent et se
charment avec un naturel de bêtes de scène étonnant.
On restera plus circonspect sur le rivage de l'opéra lui-même,
sur sa grotte aussi, qui est plus un rocher creux qu'une caverne obscure...
Tout cela sent le carton-pâte, comme les costumes qui ont l'air de
sortir tout droit de l'arrière-boutique d'un marchand de mardi-gras...
Mais après tout, ces années-là n'étaient pas
à l'exégèse outrancière des textes, et avec
son imagerie naïve fleurant bon l'Epinal, Rennert, impeccable directeur
d'acteurs (voyez Grist, les personnages de la commedia dell'arte
ou généralement tout le prologue), rend finalement assez
bien justice à Hofmannsthal et Strauss.
On l'avait déjà dit à l'occasion de la sortie des
Noces, ces parutions historiques sont autant un baume, une fontaine de
jouvence, qu'un horrible crève-coeur. Des premières, il était
à regretter que la captation soit passée à côté
des années Schwarzkopf, Fischer-Dieskau ou Jurinac. Cette Ariadne,
elle, accuse la plaie béante laissée dans la distribution
par Christa Ludwig, héroïne restée dans l'histoire l'année
précédente. Car Hildegard Hillebrecht, potentiellement excellent
second couteau, achoppe complètement dans son incarnation. Le timbre
ne manque pas de séduction certes, et l'art du chant est généralement
assez solide (encore que tous les aigus de "Es gibt ein Reich" restent
un peu bas). Mais la chanteuse manque de foyer, annone sans conviction
un des textes parmi les plus beaux qui soient et passe complètement
à côté du second degré du prologue. Elle se
sort toujours bien de sa partie (le finale est même brillant), mais
on ne comprendra jamais comment cette Ariane frigide a pu enflammer un
Bacchus aussi idéal que Jess Thomas. Le ténor est ici simplement
magistral dans ce rôle à la fois court et surexposé.
La voix est radieuse, solaire, et l'artiste ne semble jamais pousser ses
moyens pour accrocher les notes hautes d'une tessiture que l'on qualifie
souvent, par euphémisme, de suicidaire. Sa vaillance réjouit,
et sa plastique même, sa présence (même handicapée
par une improbable paire de collants et cet étrange sceptre "louis
quatorzien") sont d'un dieu descendu de l'Olympe.
Autour de ce couple, tout un monde grouillant s'agite, aux comprimarii
de très haut niveau surtout (mention particulière pour les
naïades, excellentes, pour Unger et Equiluz aussi). Ne sont pas en
reste le Maître de musique, très justement doctrinal, discrètement
veule, de Paul Schöffler, même à bout de voix, et la
Zerbinette de Reri Grist. Sa Suzanne était déjà ravissante,
ici elle est bien plus encore. On est même presque étonné
de redécouvrir cette artiste attachante dont le souvenir était
presque uniquement celui d'un gentil rossignol. Il ne faut évidemment
pas lui demander l'impossible, et attendre d'elle les abîmes d'une
Natalie Dessay ou la pyrotechnie virulente et unique d'Edita Gruberova.
Mais Grist mène le jeu comme peu d'autres Zerbinette, fine mouche
jusque dans un "GroBmächtige Prinzessin" qui frôle la précellence,
d'une prodigieuse mobilité dans l'émission, la dynamique
et l'intention. Le timbre s'avère même particulièrement
délicat, sans acidité jusqu'au suraigu, charnu, étonnamment
consistant et d'une luminosité aveuglante.
Pourtant si l'achat de ce dvd s'impose, c'est avant tout pour le Compositeur
de Sena Jurinac dont on connaissait déjà l'incarnation, mais
en studio, figée dans le marbre sculpté par Leinsdorf (DECCA).
Ici la flamme, l'emportement viscéral, l'androgynie du personnage
sont exceptionnels, la projection virtuose, les subtilités d'inflexion
uniques. Le timbre, qui plus est, reste presque magiquement conservé
en ces années de maturité, le galbe impressionne et la prestation
est à mettre au panthéon straussien, à côté
de celles des Seefried, Varady et autres Troyanos et Balsta.
Böhm, quant à lui, qui joue d'un orchestre en majesté,
relève avec l'excellence presque congénitale qu'on lui connaît
dans ce répertoire, le défi d'un tapis sonore virtuose, ciselé
avec une grâce d'orfèvre, à la fois précis et
délicat de touche. Le chef architecture avec talent l'oeuvre jusqu'au
paroxysme double d'un finale tendu comme une voile et aussi suprêmement
alangui, sachant, par ailleurs, autour des personnages "bouffes", jouer
le jeu d'une verdeur rythmique qui soulève des Wiener Philarmoniker
génialement protéiformes.
Pour deux incarnations majeures, un chef unique et un orchestre simplement
fabuleux, une Zerbinette aussi dans la meilleure tradition et une troupe
idéalement routinière, on passera donc aisément sur
la prestation sans vertige d'une Ariane simplement bonne chanteuse... La
légende sera à ce prix...
Benoît BERGER
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