ARIADNE
AUF NAXOS
Richard Strauss (1864-1949)
Opéra en un acte précédé
d'un prologue
Livret de Hugo von Hofmannsthal
Wiener Philarmoniker
Wolfgang Sawallisch
Ariadne/ Prima donna : Anna Tomowa-Sintow
Bacchus / Le ténor : James
King
Zerbinetta : Edita Gruberova
Le compositeur : Trudeliese Schmidt
Le maître de musique :
Walter Berry
Harlequin : Dale Düsing
Scaramuccio : Kurt Equiluz
Truffaldino : Siegfried Vogel
Brighella : Murray Dickie
Naïade : Marjorie Vance
Echo : Olivera Miljakovic
Dryade : Rohangiz Yachmi
Un oficier : Peter Weber
Le maître de ballet : Horst
Hiestermann
Le perruquier : Robert Reiner
Un laquais : Alfred Sramek
Le majordome : Peter Matic
2 CD ORFEO C625 0421
Enregistré en public par
l'ORF le 6 août 1982
au Festival de Salzbourg (Kleines
Festspielhaus) - Autriche
Publié en 2004
Un précédent enregistrement
live (pirate celui-ci) de cette production salzbourgeoise créée
avec grand succès en 1979 dans la mise en scène de Filippo
Sanjust et dirigée par Karl Böhm (mentor d'Edita Gruberova),
avait paru il y a quelques années sur disques 33 tours sous le label
Legendary Recordings. C'est aujourd'hui la reprise de 1982 dirigée
par Sawallisch qu'Orfeo nous propose, dans une excellente captation sonore
de la radio autrichienne.
Ariane à Naxos est un opéra à part dans
l'oeuvre lyrique de Richard Strauss puisqu'il combine très astucieusement
tous les discours contrastés de son écriture lyrique. C'est
donc quasiment un ouvrage synthétique, voire charnière, même
si La Femme sans ombre (Die Frau ohne Schatten) et Hélène
d'Egypte (Die Agyptische Helena) seront composés après.
On trouve dans Ariane le discours complexe du Chevalier à
la rose (Der Rosenkavalier), les extrémités tant orchestrales
que vocales d'Elektra et le lyrisme voluptueux d'Arabella.
Ce mélange tout à fait réussi tient peut-être
à l'aventure de sa composition...
En 1911, le librettiste de Strauss, Hugo von Hofmannstahl, lui propose
de remercier Max Reihnart, metteur en scène de la création
du Chevalier à la rose et promoteur de son succès à
Dresde. Comment ? En composant pour lui un petit opéra de chambre
qui devait s'insérer dans une représentation du Bourgeois
gentilhomme de Molière traduite par Hofmannstahl. Ceci fut achevé,
malgré l'insatisfaction de Strauss quant au résultat final,
et créé en octobre 1912 à Stuttgart dans la mise en
scène de Reihnart et sous la direction musicale du compositeur.
Malgré une certaine réussite artistique, les amateurs d'opéras
n'y trouvèrent pas leur compte. Quelques rares reprises eurent lieu
en 1913 et 1950.
Préoccupé par la première de La Femme sans ombre,
Strauss laissa là son ouvrage, selon lui inachevé, et c'est
quatre ans plus tard, pressé par Hofmannstahl, qu'il transforma
Ariane à Naxos en un véritable opéra, lui ajoutant
un prologue qui donne un rôle prépondérant au Compositeur
(Même si Mozart servit de modèle, on peut imaginer qu'il s'agit
de Strauss lui-même, embourbé dans ce "cadeau" à Max
Reihnart...). Il conserva les passages orchestraux interludes qui servaient
d'interludes au Bourgeois gentilhomme pour une suite d'orchestre
du même nom.
Créée en octobre 1916 à Vienne, c'est cette version
d'Ariane à Naxos qui est depuis représentée.
A noter que la variante de l'air de Zerbinetta (1917), un ton plus haut
et beaucoup plus ornementée, n'est plus chantée aujourd'hui,
et seul un enregistrement d'Edita Gruberova (Orfeo C101841) permet de l'entendre.
Et c'est bien d'Edita Gruberova qu'il est question une fois de plus
dès que l'on aborde Ariane à Naxos (en tête de liste
sur la pochette de ce coffret), car il s'agit de la rencontre d'un rôle
avec son interprète idéal. Tous les rôles n'ont pas
cette chance, et c'est d'ailleurs un débat intéressant, que
la rencontre des décennies ou des siècles après, d'un
rôle (ou d'un morceau instrumental) avec "son" interprète.
Cet événement, qui engendre la référence
absolue en matière d'interprétation, se produit quand se
conjuguent voix, physique, musicalité, interprétation, identification.
On pense à Norma, Tosca avec Callas, la Maréchale du Chevalier
à la rose avec Schwartzkopf, Les Chants d'Auvergne de
Canteloube avec Von Stade, La Reine de la nuit avec Moser, Les Nuits
d'été de Berlioz avec Crespin, Boris Godounov
avec Chaliapine, Arsace et Tancredi avec Horne.
C'est le cas d'Edita Gruberova avec Zerbinetta (et Constance de L'enlèvement
au Sérail) qui trente-six ans lors de cette représentation.
Aucune interprète du rôle de Zerbinetta n'a égalé
Gruberova en termes de caractérisation, de qualité de timbre,
de technique, d'aigus spectaculaires, de diction. L'ampleur de sa voix
dans les suraigus est exceptionnelle, et ce n'est pas un effet de studio
: au naturel, c'est encore plus frappant. Ici, malgré un tout petit
savonnage dans une vocalise, on atteint l'idéal. D'ailleurs, Gruberova
en est à sa troisième intégrale (chez Decca avec Solti
et chez Philipps avec Masur). De Alda Noni à Rita Streich et Natalie
Dessay, aucune ne peut se prévaloir notamment de cette largeur de
voix sur une tessiture aussi vertigineuse.
Anna Tomowa-Sintow n'est pas en reste, avec une interprétation
supérieure à son intégrale Deutsch Gramophon avec
James Levine. Ici la voix est sombre, dramatique, hiératique, l'incarnation
bouleversante d'humanité et de tragique théâtral à
la fois. Certes, l'on entend là un timbre très assombri que
l'on ne retrouvera pas ensuite. Peut-être songeait-elle alors à
aborder des rôles plus lourds ? Bref, elle est là supérieure
à l'Ariane d'Hildegard Behrens dans cette même production
trois ans plus tôt avec Karl Böhm.
A côté de ces deux sommets, Trudeliese Schmidt, exceptionnelle
sur scène, grave là une caractérisation de référence,
même si le disque enlève de la force à son interprétation.
Un DVD aurait été mieux venu, d'autant que l'on vient d'apprendre
sa disparition. Sans avoir une couleur vraiment particulière - comme
A.Baltsa qui en joue fort bien dans ce rôle - l'homogénéité
de la voix, l'assurance des aigus et des graves, la flamme de son incarnation,
en font une interprète remarquable du Compositeur.
James King est, hélas, en fin de voix et l'on entend une baisse
très nette par rapport à 1979. Ce rôle court mais difficile
n'a pas encore trouvé son leader. Proche de l'empereur de La Femme
sans ombre dans la caractérisation, il épuise par une tessiture
haute et soutenue. Sans affaiblir l'ensemble, le 'duo' avec A. Tomowa-Sintow
ne fait que marquer l'usure du timbre.
Le reste de la distribution est d'un très haut niveau (Walter
Berry et Dale Düsing en tête). La direction de Wolfgang Sawallisch,
beaucoup plus dramatisante que celle de Böhm, est puissante, tendue
et réussit un équilibre parfait entre tous les pupitres.
On peut préférer plus de fantaisie et d'ironie dans le prologue,
mais cela n'a jamais été le fort de Sawallisch. Reste qu'il
signe là probablement son meilleur enregistrement d'un opéra
de Strauss.
Est-ce la version de référence ? Peut-être, car
le live apporte une animation qui convient sans réserve à
cet ouvrage atypique, mi bouffe, mi sérieux.
Jean VERNE
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