Les aventures
extraordinaires de l'opéra
Nicolas d'Estienne d'Orves
Edition Les Belles
Lettres
238 pages
mai 2002
Quand, à la devanture de sa librairie préférée,
on remarque ce livre, il a quelque chose d'accrocheur, le titre peut-être.
Le résumé en dos de couverture est tout aussi aguicheur :
"on peut parler d'opéra sans convoquer partitions, musicologie ni
esprit de sérieux. Voici un livre qui n'est pas une histoire de
l'opéra, mais une invitation au voyage, aussi documentée
et rigoureuse que pleine d'allégresse et d'humour, dans les coulisses
de cet art tout de passion et d'éclat. De Monteverdi à nos
jours, c'est à une véritable mise en scène que nous
convie Nicolas d'Estienne d'Orves, celle de l'opéra lui-même,
ses grands évènements et ses grands hommes. Premières
catastrophiques, rivalités entre divas, récupérations
politiques, morts en scène, tout et tous sont là : "la" Melba,
Germaine Lubin, Maria Callas, Karl Böhm, Pierre Boulez, Donizetti,
Rossini, Verdi, Wagner, Massenet, Britten, Stendhal qui furète et
Toscanini qui tempête, jusqu'à Truman Capote, Gilbert Bécaud
et bien d'autres surprenants interprètes de cette histoire pleine
de bruit, de fureur... et de chants."
Diable ! quel programme ! alléché, on feuillette l'ouvrage
: il est bien écrit, le style est alerte, l'humour a l'air d'être
au rendez-vous, l'introduction démarre bien, ironisant sur la prétendue
mort de l'opéra. Peut-être tient-on là le livre idéal
pour ses vacances.
Hélas ! la déconvenue survient assez rapidement. Passé
les premières pages, où l'on est séduit par la verve
de l'auteur, on commence à se demander sérieusement où
il veut en venir. Nulle part, apparemment. Anecdotes, histoires et bons
mots se succèdent, sans vraiment de logique. Ce n'est pas grave,
se dit-on, se résignant assez vite à survoler cette succession
décousue, les anecdotes pourront toujours nous servir à briller
en société... même pas, elles ne sont pas assez croustillantes,
ou elle sont jetées trop négligemment pour faire mouche...
Et puis vient un réel malaise, provoqué par une succession
de jugements de valeur hors de propos. On apprend ainsi que Giacomo Meyerbeer
est aujourd'hui quasi oublié, et que ses opéras peuvent durer
jusqu'à six heures, avec choeurs martiaux, airs de bravoure, destinés
à des voix d'acier et un public sans grand esprit critique (page
23). Les membres du Meyerbeer fan club apprécieront.
D'autres exemples ? page 58, "
Hamlet fit l'objet d'une vingtaine
d'adaptations, mais la version la plus fameuse est certainement la plus
mauvaise : celle d'Ambroise Thomas. Ce parangon de l'académisme
rétrograde, dont le plus haut fait est d'avoir conçu l'actuelle
orchestration de la Marseillaise, régenta pendant de nombreuses
années la vie musicale française depuis son poste de directeur
du Conservatoire national. Outre ce
Hamlet en bien des points hilarants
(malgré quelques jolis passages), on lui doit aussi une adaptation
du
Mignon de Goethe, qui fit les beaux soirs de l'Opéra-Comique
jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Généralement entiché
de son librettiste Jules Barbier, qui fut à Shakespeare ce que Luc
Plamodon est à Montherlant, il offrit des versions édulcorées,
voire parfaitement insipide, de tous ces chefs-d'oeuvre."
Continuons héroïquement. Page 82 : "la musique dite classique
a subi une forme de sélection naturelle ; elle s'est naturellement
épurée de ses scories. De l'opéra, il ne reste qu'une
substantifique moelle extraite de 400 ans de création lyrique [ndr
: ce qui équivaut à dire que tout ce qui a été
oublié de nous jours est forcément mauvais, et ne mérite
pas l'exhumation !]Toutefois, le choix et le succès des oeuvres
correspondent tout autant à leurs qualités qu'aux us et coutumes
de leur lieu et année de naissance. Ainsi, lorsqu'on considère
les succès gigantesques de Meyerbeer, Halévy ou Ambroise
Thomas, on ne s'étonne aujourd'hui guère que ces oeuvres
n'aient pas, à de rares exceptions près, franchi la barrière
du temps.". Quel acharnement !
Une petite autre pour les baroqueux ? "Au bout du compte, concernant
la musique baroque, on en est presque arrivé à un excès
inverse. Ainsi, la moindre oeuvrette de l'époque (de Mondonville,
de Caldara, de Campra... ) est re-découverte comme un paradis perdu,
comme l'essence même du genre. On sautille, on s'excite, on s'extasie,
on s'insulte à mi-voix, car le monde baroque est une forêt
de petits talents en concurrence. Cependant, ne jetons pas la pierre à
une vogue qui permit, du moins jusque dans les années 1980, de retrouver
des oeuvres essentielles du répertoire lyrique. Si les découvertes
actuelles ne sont guère émoustillantes, c'est que l'os a
fini par être rongé."
Arrêtons là cette accumulation d'inepties. Nicolas d'Estienne
d'Orves possède une jolie plume, de l'esprit, qu'il tient absolument
à montrer, et il aime sincèrement l'opéra, tout du
moins la partie du répertoire qu'il estime noble. Il s'est fait
un gros plaisir en babillant pendant 210 pages sur un art qui le passionne,
ce n'est pas la peine de lui faire gagner de l'argent en sus. Il est donc
parfaitement inutile d'acheter ce livre.
Catherine Scholler
Commander ce CD sur Amazon.fr
Les%20aventures%20extraordinaires%20de%20l'opÈra<" target="_blank">