Dame Janet
BAKER
Philips & Decca Recordings
1961 - 1979
CD 1
Arie amorose
Francesco Cavalli
Extraits de La
Calisto
CD 2
George Frideric
Haendel
Lucrezia
(cantate HWV 145)
Airs d'opéras
et d'oratorios
(Ariodante,
Atalanta, Hercules, Joshua, Rodelinda, Serse)
Jean Sebastien
Bach
"Vergnügte
Ruh', beliebte Seelenlust"
(air de la cantate
BWV 170)
Henry Purcell
"But death, alas
!... When I am laid in earth...
With drooping wings"
(Didon & Aeneas)
CD 3
Joseph Haydn
Arianna a Naxos
(cantate, Hob XXVIb/2)
Scena di Berenice
: Berenice, che fai ? (Hob XXIVa)
Wolfgang Amaedus
Mozart
"Deh se piacer
mi vuoi... Che ciecamente crede" (La Clemenza di Tito, K 621) [1]
"Non più
di fiori... Infelice ! qual orrore !" (Idem) [1]
"Ah, scostati !
... Smanie implacabili" ( Così fan tutte, K 588) [2]
Franz Schubert
Ständchen,
D 920
"So schlummert
auf Rosen"
(air de Lazarus,
Oder die Feier der Auferstehung, D 689)
Ludwig van Beethoven
"Ah perfido !"
, op. 65
CD 4
Jean-Philippe
Rameau
"Cruelle mère
des amours" (Hippolyte et Aricie)
"Quelle plainte
en ces lieux m'appelle ?" (Idem)
Christoph Willibald
Gluck
"Che farò
senza Euridice ?" (Orfeo ed Euridice)
"Che puro ciel,
che chiaro sol" (Idem)
"Divinités
du Styx" (Alceste)
Hector Berlioz
Cléopâtre
(scène lyrique) [1]
Herminie
(scène lyrique) [1]
"Non ! Que viens-je
d'entendre ?...
Il m'en souvient
... Je l'aime donc ?" (Béatrice et Bénédict)
[2]
CD 5
Maurice Ravel
Trois poèmes
de Stéphane Mallarmé
Chansons madécasses
Ernest Chausson
Chanson perpétuelle,
op. 37
Maurice Delage
Quatre poèmes
hindous
Benjamin Britten
"Lucretia ! Lucretia
! ..." (The rape of Lucretia, op. 37)
"Last night Tarquinius
ravished me" (Idem)
"Ah, Owen, what
shall I do ? " (Owen Wingrave, op. 85)
Phaedra,
op. 93
PHILIPS Original
Masters
limited edition
475 161-2 PC 5 - ADD
Une poignée d'inconditionnels -
ceux de la première heure - thésaurisent probablement les
récitals et les intégrales d'où sont extraites les
quelque six heures de musique qui forment ce splendide hommage. Mais pour
les autres, admirateurs volages ou nouveaux accrocs, c'est une véritable
manne aux trésors. Trop de portraits racoleurs, mais bâclés
encombrent le marché pour ne pas saluer l'excellent travail éditorial
réalisé par Raymond McGill. Seule réserve : la qualité
sonore de certaines plages, émaillées de nombreux parasites.
Mais c'est peu, en regard du bonheur qui, tant de fois, nous submerge.
La notice est un modèle du genre, enthousiaste, mais nuancée.
Max Loppert (
Financial Times, BBC Music Magazine...) cerne au plus
près la singularité de l'artiste, "
la grande exactitude
stylistique, la maîtrise vocale d'une précision redoutable
et la candeur émotionnelle parfois intrépide qui étaient
les siennes". Je souligne ce qui me paraît le plus précieux
: une sincérité exceptionnelle, une intégrité
et un investissement total, sans calcul ni faux pathos. "
Au faîte
de sa carrière, une mezzo lyrique peut de plusieurs façons
donner l'impression de posséder d'abondants moyens vocaux qui enveloppent
somptueusement l'auditeur dans des sonorités aux textures foisonnantes.
Ce ne fut jamais la méthode de Dame Janet. Son instrument ne renferma
jamais cette amplitude et cette sensation d'infinitude, même si au
sommet de son art, à la fin des années 1960 et pendant les
années 1970 [... ] on se rendit compte qu'elle disposait d'une voix
large, hardie et prenante, à la fois par sa tessiture et l'intensité
de sa projection." Il faudrait aussi parler du timbre, frais et lumineux,
légèrement ombré de mélancolie, de l'émission,
franche, parfois un rien appuyée (certaines duretés apparaîtront
avec le temps) et de haut-médium, de ces aigus chaleureux, d'une
douceur insinuante devant laquelle le coeur le plus endurci ne peut que
fondre. Démonstration en cinq chapitres...
Alors que la plupart des chanteurs de sa génération considèrent
les arie antiche - ici rebaptisés "amorose" et arrangés
par Simon Preston - comme des exercices d'échauffement, Janet Baker
les prend au sérieux et les magnifie au gré d'une interprétation
très personnelle. Elle reprend des classiques (Amarilli mia bella
de Caccini, Caro mio ben de Giordano, Sebben, crudele, mi
fai languir' ou Selve amiche de Caldara, Plaisir d'amour
de Martini...), mais musarde aussi loin des sentiers battus pour nous révéler
le dolorisme raffiné d'"Intorno all'idol mio", cinq ans avant que
René Jacobs enregistre, dans son intégralité, l'Orontea
de Cesti (1978). Depuis, le contre-ténor a pris goût à
la direction et poursuivi l'exploration de l'opéra vénitien,
reléguant aux "documents historiques" La Calisto de Raymond
Leppard. Toutefois, s'il est vrai que l'ouvrage de Cavalli remonté
à Glyndebourne en 1970 était passablement défiguré
et mutilé, personne n'a réussi à traduire comme Janet
Baker le désarroi de Diane, écartelée entre son voeu
de chasteté et le brûlant, l'irrépressible désir
que lui inspirent les "lèvres rosées" du bel Endymion (James
Bowman, au grain encore adolescent, à la chevelure abondante et
à la bouche... lippue !).
Le deuxième disque s'ouvre et se referme sur deux incarnations
légendaires. Deux héroïnes blessées et inconsolables
renoncent à la vie. Lucrezia clame sa colère de femme outragée,
elle maudit son bourreau et plonge un fer dans sa poitrine, la douleur
l'affaiblit et l'attendrit même ("Già nel seno comincia"),
avant de lui arracher un ultime cri de vengeance. De la Didon de Janet
Baker, de son lamento en particulier, tout a déjà
été dit. Déchirante, insoutenable, cette plainte vient
du tréfonds de l'âme et nous touche au-delà des mots
et des âges, par la grâce des larmes partagées, pour
reprendre la belle formule de Chantal Thomas. Une émotion sans doute
moins vive, mais juste, affleure dans les pages plus expressives d'Ariodante
("Scherza infida...") et de Rodelinda ("Dove sei, amato ben"). Malheureusement,
dans les passages brillants, les tempi se traînent et privent d'éclat
les envolées virtuoses ("Con l'ali di constanza", "Where shall I
fly !"), même si une allure plus raisonnable dans Joshua nous
permet d'apprécier la vocalisation impeccable du grand mezzo haendelien.
Sans surprise, "Ombra mai fù" profite de cet alanguissement. Inutile
de s'étendre sur les carences de la direction ou les errances du
style : Raymond Leppard n'est pas l'homme de la situation, mais il n'y
a rien non plus d'indigne dans son écrin fané. Intense et
vibrante, l'aria de Bach est indispensable.
S'il est une figure que l'artiste aura marquée de son empreinte,
c'est bien celle de la Femme trahie et abandonnée, à la fois
ardente et vulnérable, fière et intransigeante dans sa quête
d'absolu. De la contemplation extasiée au désespoir, en passant
par la révolte et la fureur, Ariane et Bérénice découvrent
les ravages de la passion et la faiblesse des hommes. Janet Baker y est
à la fois grandiose et incroyablement humaine. On attend sans doute
un chant plus fluide et plastique chez Mozart, mais sa Vitellia, au caractère
bien trempé, est très convaincante. Pour ses Schumann, ses
Brahms et autres Mahler, il vous faudra chercher ailleurs, mais ne ratez
pas le Ständchen de Schubert ni le rare et délectable
Lazarus. "Ah ! Perfido" n'atteint pas les mêmes sommets, mais
se laisse volontiers écouter.
Crispée et un peu roide, la Phèdre (Rameau) de Dame Janet
a néanmoins pour elle la vérité des accents et la
noblesse des grandes tragédiennes. Si son tempérament, sa
vocalité ne la prédestinaient pas, loin s'en faut, au belcanto
romantique ni aux mezzos verdiens, par contre, la tragédie en musique
et ses avatars - Médée, Armide manqueront toujours, hélas,
à l'appel - trouvent en elle leur Champmeslé, leur Callas.
Je pèse mes mots. Ce n'est pas tant Orphée, ni même
Alceste ("Divinités du Styx"), mais le Berlioz des Scènes
lyriques qui permet d'apprécier vraiment cette déclamation
magistrale et surtout cette puissance d'évocation qui vous dresse
les cheveux sur la tête et vous suspend à la moindre inflexion.
Je parlais d'engagement, de vérité : il faut découvrir,
de toute urgence, sa Cléopâtre tour à tour altière,
angoissée et comme hallucinée ("Grands Pharaons"), puis hébétée,
haletante et expirant. Herminie, Béatrice et Bénédict
complètent le portrait de cette berliozienne racée et
habitée. Il faut dire aussi qu'elle trouve un partenaire d'élection,
sinon un guide en la personne de Colin Davis, à la tête du
London Symphony Orchestra.
La cantatrice évolue avec la même aisance sur la scène
du théâtre antique et dans le salon plus feutré de
la mélodie française. La diction est remarquable, sinon irréprochable
(la prononciation italienne de "languir" surprend et amuse comme une touche
de fantaisie délibérée), les atmosphères et
les états d'âme les plus divers finement suggérés,
de l'onirisme diffus du Soupir (Ravel) au sensualisme de Nahandove,
du lyrisme sobre et poignant de la Chanson Perpétuelle (Chausson)
aux courbes hypnotiques de Lahore (Delage). L'art de son temps attire
également la musicienne que Benjamin Britten accueille au sein de
l'English Opera Group - et qu'il encourage aussi, on le sait moins, à
élargir son répertoire en abordant, par exemple, la Didon
de Berlioz. C'est à elle qu'il songe pour sa relecture du Beggar's
Opera (Polly) ou pour incarner Kate dans la version télévisée
d'Owen Wingrave, mais aussi pour défendre sa vision de Phèdre.
Le compositeur sait exactement ce qu'il peut exiger d'elle, en termes d'implication,
d'intelligence dramatique et d'acuité psychologique. Quant aux fragments
du Rape of Lucretia, ils démontrent combien il est vain et
stérile de vouloir comparer Janet Baker et Kathleen Ferrier, d'opposer
des natures et des sensibilités profondément dissemblables,
comme on l'a trop souvent fait. Britten, lui, les a non seulement aimées,
mais imaginées dans le même rôle. Elles y sont uniques
et bouleversantes.
Bernard SCHREUDERS
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au 25/06/04)
Janet
Baker - Original Masters