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La morte delusa
oratorio (Ferrare, 1696)

Giorgio BASSANI (1657-1716)

Emmanuela Galli, soprano (La pietà)
Daniela Del Monaco, alto (La Morte)
Philippe Jaroussky, alto (La Gloria)
François Piolino, ténor (La Giustizia)
Jean-Claude Sarragosse, basse (Lucifero)

Ensemble La Fenice,
diection Jean Tubéry

Un disque Opus 111 - NAÏVE (62'41)


Il est des oeuvres difficiles, mais passionnantes, qui doivent se mériter... La Morte Delusa fait partie des quatre oratorios (sur treize) de Giorgio Bassani, virtuose du violon et maître de chapelle à Ferrare, dont la musique nous est parvenue. "Donné à Ferrare à la mémoire des âmes des défunts tombés dans les entreprises chrétiennes contre le Turc [sous l'impulsion d'Innocent XI, en 1683]" indique le frontispice du livret, il repose sur un argument dont la sécheresse n'est pas sans évoquer l'austérité légendaire du pontife, farouche adversaire des jésuites et des gallicans, ennemi du théâtre et de ses moeurs dissolues. Et pourtant, l'écriture de Bassani ne manque pas de séduction. 

Certes, les commanditaires (la très sérieuse Accademia della morte), le débat philosophique, dépourvu de tout véritable ressort dramatique et la sévérité de son sujet (La Mort et Lucifer veulent arracher à la Gloire et la Piété les âmes des Croisés) limitent les possibilités expressives et imposent au compositeur une sobriété de circonstance. Le récit domine, dépouillé et seulement interrompu par de brèves arie qui interdisent tout débordement vocal, mais agrémentés de quelques belles ritournelles. Cependant, Bassani navigue à contre-courant et a l'idée géniale de confier au merveilleux cornet à bouquin (délaissé par ses contemporains) un rôle essentiel, non seulement au coeur du concert instrumental (symphonies et ritournelles), mais dans les sections chantées où sa voix double le chant de manière troublante (la Mort expirant). De même, si la musique peine à traduire la violence de certaines images ("les vagues de l'Istre de sang baptisé", "une tempête de flammes", "affamée de vies, assoiffée de sang, je volais, sombre dans les mines, lumineuse dans les bûchers, flamboyante dans les boulets", etc.) et semble alors bien fade en regard du texte, en revanche, elle excelle dans d'autres registres, plus subtils : les larmes des cordes dans "Ogni Stilla" (plage 6), largo suspendu, nimbé de tendresse et illuminé par la grâce de Philippe Jaroussky ; l'agonie de la Mort ("Ombre nere della tomba", plage 20), climax de la partition, sans doute les deux plus beaux tableaux de l'oeuvre. Dans ces moments plus intimistes, le langage de Bassani se révèle d'une profondeur et d'une justesse hautement estimables.

C'est aussi dans ces pages, précieuses entre toutes, que l'interprétation se révèle la plus inspirée. Respectivement céleste et abyssale, Philippe Jaroussky et Daniela Del Monaco offrent un contraste saisissant, incarnations idéales de la Gloire et de la Mort ; le contre-emploi d'Emanuela Galli (La Piété), au gazouillis frivole et à l'italien improbable [sic], n'en est que plus déroutant. Excellents chanteurs, François Piolino et Jean-Claude Sarragosse ne s'impliquent guère et ce manque d'engagement, cette lecture superficielle finissent franchement par agacer. A leur décharge, il faut dire qu'ils semblent livrés à eux-mêmes. La direction de Jean Tubéry manque de relief, de souffle, d'idées, comme si lui faisait défaut l'indispensable vision qui devrait la porter. Rien d'indigne, toutefois, pour cette courageuse première mondiale, et le corniste, une fois encore extraordinaire, ferait presque oublier la tiédeur du chef. Un disque à écouter et réécouter, dans l'atmosphère feutrée et méditative du crépuscule...
 
 

Hélène Mante



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