Heinrich Ignaz Franz von
BIBER (1644-1704)
Missa in B
Requiem a 8 in F con terza
minore
Johann Heinrich SCHMELZER (c.1620-1680)
Sonatae II, XIII
Georg MUFFAT (1653-1704)
Ciacona
Abraham MEGERLE (1607-1680)
Peccator et consolator a 2
Orlando DI LASSO (1532-1594)
Media vita in morte
Gabrieli Consort & Players
Dir. Paul McCreesh
Archiv, 2004
81'
CD 00289474 7142
On a assisté, durant ces dernières
années, à une incroyable redécouverte de la musique
de Biber. Qui, avant les premiers enregistrements d'Harnoncourt au début
des années 70, savait encore citer son prénom entier, sinon
les musicologues ? Et encore, à l'instar de Lully, certains s'obstinent
encore à lui souffler la particule qu'il a tant cherché à
acquérir, alors qu'on l'a (honteusement) rebaptisé Heinrich
Franz Biber sur ce nouveau disque...
A l'occasion du tricentenaire de la disparition de Heinrich Franz Ignaz
von Biber, Paul McCreesh a organisé tout un programme d'évocation
de la mort, une sorte de pompe funèbre musicale au sens baroque
du terme. A l'époque, la Mort se donnait en spectacle, avec faste,
notamment dans les pays d'Europe centrale. A chaque fois qu'un prince,
général ou archevêque tombait, le goût baroque
pour la représentation faisait fleurir les architectures éphémères
toutes de noir drapées et les tombeaux pyramidaux à colonnes
torsadées tandis que les gentilshommes troquaient leurs épées
de cour pour un modèle noirci que l'on appelait justement l'épée
de deuil.
Familier de Biber, Paul McCreesh a rassemblé un programme sobre
et poignant afin de rendre hommage au compositeur. Loin des oeuvres monumentales
à choeurs multiples, rassemblant trompettes et timbales telles la
Missa
Bruxellensis ou la Missa Saliburgensis, déjà enregistrée
par le Gabrieli Consort (Archiv), McCreesh a choisi une messe très
simple et un requiem plus spirituel que spectaculaire. De plus, même
s'il ne cherche nullement à reconstituer un office liturgique, il
a intercalé des morceaux de contemporains de Biber, conformément
aux pratiques du temps : on trouve donc deux sonates de Schmelzer, un petit
prélude à l'orgue de Muffat et même quelques passages
polyphoniques de Roland de Lassus. Konrad Junghanel avait eu la même
approche avec les Vêpres de Schmelzer (Deutsche Harmonia Mundi).
Certes, ceux qui ne connaissent pas la messe, regretteront peut-être
de la voir ainsi fragmentée, mais l'idée se révèle
très intéressante.
Le Gabrieli Consort & Players nous livre une interprétation
de première classe. On louera avant tout la cohésion de l'ensemble,
l'homogénéité des choeurs, l'implication des solistes.
En l'absence d'indication précise (il semble qu'un document crucial
sur les parties du Requiem ait été récemment
perdu, selon la notice du disque de Paul McCreesh), le gouvernement orchestral
a dû être nommé à la discrétion du Président
McCreesh. C'est un franc succès. Le chef a en effet réussi
à créer un subtil équilibre entre les instrumentistes
et les chanteurs. L'orchestre, aux timbres colorés et aux cordes
dynamiques - voire parfois nerveuses - ne se met jamais trop en avant et
joue à merveille son rôle de support et d'évocation.
Au passage, le procédé de scordatura, qui consiste
à changer l'accord des cordes afin d'obtenir des sonorités
particulières et de faciliter le jeu de l'instrumentiste, a été
utilisé dans cet enregistrement. Biber en était friand, comme
nous le prouvent ses Sonates du Rosaire où il en fait un
usage intensif.
Le choeur, quant à lui, a réussi le pari d'une belle vocalité,
associée à un engagement et une puissance qui emportent l'adhésion.
Les pupitres sont remarquablement espacés, sans nuire à l'effet
d'ensemble (et cela n'a rien à voir avec les effectifs engagés,
soit dit en passant), comme on peut l'entendre dans les oeuvres de Lassus,
si redoutés des choristes tant ils nécessitent une parfaite
fusion des voix, pour que jamais un pupitre ne domine l'autre. De plus,
les femmes réussissent à chanter comme des enfants, avec
très peu de vibrato et une voix claire, sans pour autant
succomber devant les difficultés techniques ou paraître trop
éthérées. Le Requiem a 8 avait en effet déjà
été enregistré par Harnoncourt (Teldec), et les courageux
solistes du Tölzer Knabenchor semblaient alors bien mal à l'aise.
Il se dégage de l'ensemble une grande ferveur et une belle lecture
du texte, à la fois dans la prononciation très intelligible
et l'attention portée au sens des mots. Profitons également
de l'occasion pour féliciter l'ingénieur du son pour une
restitution riche et fidèle qui laisse s'épanouir les notes
et saisit les détails de la partition, en particulier le théorbe
du continuo.
Enfin, sur les oeuvres elles-mêmes, la sage interprétation
des sonates de Schmelzer, qui peuvent aussi bien être jouées
à l'église qu'au concert, reste peu marquante et l'intérêt
de ce disque réside surtout dans les oeuvres vocales. L'écriture
contrapuntique et dense de la messe paraît assez archaïque,
rappelant un peu Schütz ou le très conservateur Johann Joseph
Fux. Le Requiem, quant à lui, est peu ostentatoire et finement ciselé,
tel un immense choeur d'où s'échappent de temps à
autre les solistes, alors qu'éclosent quelques ritournelles au détour
d'une mesure. Malheureusement, le "Dies Irae" est joué sur un tempo
trop rapide, sacrifiant la supplique des deux sopranos à la fureur
du jour. Gustav Leonhardt avait choisi un ton plus austère, plus
sombre, presque tragique, qui convenait mieux à ce passage, même
s'il transformait l'oeuvre en un immense catafalque (Deutsche Harmonia
Mundi). Néanmoins, cette petite déception ne saurait vous
empêcher de vous découvrir non seulement devant Herr von Biber,
mais aussi devant l'admirable tribut que lui rend Paul McCreesh.
Viêt-Linh NGUYEN
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