Winterreise
D911
Franz Schubert (1797-1828)
Ian Bostridge, Ténor
Leif Ove Andsnes, Piano
EMI Classics, 7243 5 57790 2 1
Dans les rêves de chaque chanteur
de
lieder plane le projet fou d'un jour chanter en concert, voire
même d'enregistrer le
Winterreise de Schubert. Oeuvre testament
d'une singulière gravité, elle contient des pages parmi les
plus belles de toute la musique romantique allemande, mais nécessite
de la part des interprètes une maîtrise absolue, une grande
maturité, et un renoncement à tout effet d'interprétation,
tant la musique est riche par elle-même.
Après une dizaine d'années d'une jeune carrière
très brillante, après de magnifiques enregistrements consacrés
à Schumann, Schubert ou Britten, après un bel enregistrement
de La Belle Meunière parrainé par Dietrich Fischer
Diskau dont il fut l'élève et paru dans l'intégrale
des lieder de Schubert chez Hyperion, Ian Bostridge tente à
son tour l'aventure et s'adjoint comme il l'a déjà fait à
deux reprises la participation d'un pianiste réellement exceptionnel
en la personne de Leif Ove Andsnes.
L'oeuvre sans doute la plus aboutie du compositeur dans ce genre, inégalée
en intensité et en confondante simplicité, est le plus souvent
l'apanage des barytons, tant son atmosphère est sombre et désespérée.
La partition originale est cependant écrite pour ténor, comme
la plus grande part des lieder de Schubert d'ailleurs, et c'est
sans doute le premier mérite de cette version que de rendre hommage
à ce cycle en le présentant dans le ton original. L'accompagnement
de piano rendu à sa tessiture primitive, retrouve une clarté,
un équilibre harmonique, une évidence souveraine auxquels
on ne peut qu'être sensible.
Du côté du chant, on mettra au crédit de ce nouvel
enregistrement une très grande attention aux détails, une
mise en relief du texte particulièrement expressive, une recherche
de couleurs permanente, une émouvante transparence et un sens poétique
par moments très inspiré. Mais il faut aussi noter un maniérisme
un peu agaçant, frisant l'affectation, excessivement démonstratif
qui rompt trop souvent inutilement les atmosphères intimes, et parfois
même la ligne du chant. L'expression chez Schubert, si raffinée
soit-elle, n'est jamais très éloignée d'une certaine
inspiration populaire, et trouve ses accents les plus vrais dans une grande
simplicité de ton qui fait ici souvent défaut. On perd ainsi
le sens du ländler, cette ballade allemande qui est dans ce
cycle le chant du voyageur sur le chemin du non-retour.
En revanche, on ne saurait trouver meilleure version pianistique de
l'oeuvre, ni meilleur partenaire pour ce long voyage initiatique que Leif
Ove Andsnes : sa vision purement poétique, parfaitement cohérente,
rigoureuse et simple, éminemment attachante, rachète largement
toutes les réserves qu'on a exprimées plus haut au sujet
du chant. Andsnes se montre aujourd'hui un schubertien exceptionnel, un
accompagnateur hors paire (ce qui n'est pas donné à tous
les grands pianistes), un musicien d'une rare humilité. Chapeau
bas !
Claude JOTTRAND
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