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Hugo Wolf (1860-1903)

Choix de Lieder

Eichendorff Lieder :
Der Musikant, Verschwiegene Liebe,
Das Ständchen, Nachtzauber, Seemanns Abschied

Mörike Lieder :
Der Genesene an die Hoffnung, Der Knabe und das Immlein, Begegnung, Nimmersatte Liebe, Verborgenheit, Im Frühling, Auf einer Wanderung, Um Mitternacht, Auf ein altes Bild, Gebet, An den Schlaf, An die Geliebt, Peregrina I, Peregrina II, Der Jäger, Lied eines Verliebten, Abschied

Goethe Lieder :
Gutmann und Gutweib, Ganymed

Ian Bostridge (ténor)
Antonio Pappano (piano)

EMI 1 CD 0946 3 42256 2 5

1/2



UN ENCHANTEMENT

Nous entendons d’ici la colère des puristes, que rebute presque par principe l’intrusion du ténor anglais dans l’univers de Wolf. Commençons donc d’emblée par les mauvais côtés de cet enregistrement. Oui, le timbre de Ian Bostridge ne s’est pas amélioré pas avec le temps : la voix est maigre, souvent grisâtre, avec quelques sons bien mats dans l’aigu. Et pourtant, il sait la rendre souvent plus intéressante, plus souple, plus malléable que celle de son récent concurrent discographique, Werner Güra (qui enregistrait en 2005 vingt-trois Mörike Lieder pour Harmonia Mundi, avec Jan Schultsz au piano). Et Antonio Pappano joue un bien trop joli piano, caressant, aussi riche de couleurs que son soliste semble monochrome. On n’y sent jamais l’acidité, le sourire souvent caustique de Wolf. Soit.

Mais une fois ces réserves émises, il faut bien reconnaître que ce récital est un véritable enchantement. L’intelligence du ténor face à ces miniatures est simplement confondante : chaque paysage est saisi avec une immédiateté, une évidence qui laissent pantois. La raison essentielle en est le souci du texte, si primordial dans ces œuvres. Bostridge dit ces Lieder tel un véritable acteur, et la voix suit, comme incidemment, par surcroît… Compensant un timbre peu chatoyant par des trésors de nuances dynamiques, par des trouvailles de pure émission vocale (qui sait à ce point jouer de sa voix mixte ? Écoutez la façon qu’il a d’amener les montées à l’aigu dans le difficile Verschwiegene Liebe). Mieux : c’est par le travail sur le souffle même que la mélodie semble se trouver ciselée, ce souffle ample et profond qui en sous-tend l’architecture. Miraculeux renversement des habitudes. Et qu’on ne vienne pas nous dire que tout cela sent l’artifice à plein nez. Car le raffinement dont Bostridge fait preuve est tout à fait en situation, et ne se donne jamais à sentir en tant que tel.

Le programme sélectionné comprend quelques Eichendorff (la partie la moins « publique » des Lieder de Wolf, la moins fréquemment chantée, la moins enregistrée aussi), une quinzaine de Mörike, et deux Goethe Lieder. Certes, le ténor pourra paraître un peu en deçà d’une page aussi énergique que Seemanns Abschied (Eichendorff), où l’on attendrait davantage de largueur dans la voix. Mais combien de réussites indiscutables à côté de cela ? Der Knabe und das Immlein, par exemple, avec sa façon de lancer les sons droit, sans vibrato, et de les électriser peu à peu ; les modifications incessantes d’atmosphère dans Nimmersatte Liebe ; Verborgenheit, avec son tempo très alenti dans ses mesures extrêmes et sa section centrale orageuse ; la jubilation progressive de Auf einer Wanderung… On aura tendance à penser que c’est dans les Lieder les plus méditatifs, les plus élégiaques, tels Auf eines altes Bild ou encore Gebet, que Ian Bostridge réussit ses plus belles incarnations – car c’est bien d’incarnations qu’il s’agit, même si, on l’aura compris, la voix est tout sauf charnelle, au sens palpable et chaleureux du terme. Et c’est là le paradoxe de ce disque : le piano d’Antonio Pappano, lui, est tout ce qu’il y a de plus charnel, de plus chaud et rond, séduisant, envoûtant même. Ce n’est normalement pas ce que l’on attend de ces œuvres, qui ne sont jamais pures joliesses, bien au contraire. Qu’importe ! Et ne pleurons surtout pas que la mariée soit trop belle. Car peut-être sans cet écrin, sans l’appui (l’épaisseur) du velours de son pianiste, Bostridge n’aurait-il pas pu oser autant de choses avec sa voix, ces effets émaciés, ces cris (volontaires, mais qui ne passent bien que parce que l’équilibre, de fait, peut se réaliser avec le piano). Le chanteur ne tend vers le ciel que parce que le piano lui fournit ce sol, appui nourricier et nécessaire à son envol. Envol ? Ganymed, qui clôt ce récital, en est la parfaite illustration. Dans une discographie assez minimaliste, surtout de la part des ténors (John McCormack et Karl Erb dans les années 30, Werner Güra plus près de nous, nous l’avons dit), ce disque est à thésauriser

Et merci à EMI, qui au lieu de se contenter d’exploiter son legs Schwarzkopf, ose, fait rarissime chez les « majors », s’intéresser encore à ces pages réputées peu vendeuses (Anne Sofie von Otter et Olaf Bär pour le Spanisches Liederbuch en 1995, avec Geoffrey Parsons au piano, Dietrich Fischer-Dieskau pour des Lieder orchestraux enregistrés en 1997 en complément d’anciens enregistrements reparus pour l’occasion, et Barbara Hendricks, avec Roland Pöntinen au piano, en 2000).

   

David FOURNIER
 
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