Pierre BOULEZ (né en 1925)
LE MARTEAU SANS MAÎTRE
Suivi de Dérive 1 et 2
Hilary Summers (mezzo-soprano)
Ensemble Intercontemporain
Pierre Boulez
1 CD Deutsche Grammophon n° 00289 477 5327
Publié en 2005
Enregistré à l'IRCAM en septembre 2001
Pour les quatre-vingts ans de Pierre Boulez,
compositeur et chef d'orchestre fêté dans le monde musical
français et international, Deutsche Grammophon lui consacre une
édition spéciale griffée "Boulez 2005" dans sa collection
de musique contemporaine "20-21 Music of our time". Parmi les premiers
volumes de cette édition anniversaire, l'une des oeuvres clés
du compositeur composée entre 1953 et 1955,
Le marteau sans maître,
est couplée avec deux pièces instrumentales plus récentes
:
Dérive 1 (1984) et
Dérive 2 (1988-2000).
Lors de la composition du Marteau, Pierre Boulez parlait de "fabriquer
des règles", alors qu'il était en pleines recherches théoriques,
cherchant à se constituer une grammaire musicale nouvelle, devenue
le sérialisme intégral. Alors qu'il dira ne pas ressentir
"dans la plupart des oeuvres qui ont été composées
à cette époque autre chose qu'un projet satisfaisant d'un
point de vue mental", on dit que cette cantate pour une voix et six instruments
fait partie de ses compositions les plus connues et jouées.
Prenant comme fondement textuel des poèmes éponymes de
René Char (1907-1988) : Visage nuptial (1946) et Le Soleil
des eaux (1948), dont le compositeur est un fervent admirateur, le
jeune Boulez cherche alors à établir un nouveau type de rapport
texte-musique, qui ne soit pas une illustration musicale des textes -fort
beaux - du poète. Pour se faire, il choisit six types d'instruments
que l'on fait rarement jouer ensemble : une flûte, un alto, une guitare,
un ensemble de dix percussions, un xilorimba et un vibraphone. La voix
chantée n'intervient que par courtes périodes (pièces
n°3, 5, 6, et 9) pour conserver le caractère furtif et impromptu
des textes de René Char ; Pierre Boulez note que ces poèmes
sont pour lui la "source fertilisant la musique".
Ayant tenu à manifester "l'influence de la culture extra-européenne"
à laquelle il dit toujours avoir été sensible, le
compositeur laisse comme vagabonder les très courts cycles de notes
de chaque instrument dans une sorte de batifolage aérien dont le
parcours reste difficile à identifier, sinon comme labyrinthe sonore,
sorte d'impressions de voyage qui sortirait d'une boîte de Pandore.
On raconte qu'à la première du Marteau sans maître,
le 18 juin 1955 à Baden-Baden sous les auspices du 29e Festival
de la Société internationale de musique contemporaine, Heinrich
Strobel, un organisateur du Festival, dut défendre vigoureusement
la candidature de l'oeuvre de Boulez contre l'opposition de la section
française de la S.I.M.C. Un enregistrement (Véga) de l'oeuvre,
couronné en 1957 par l'Académie Charles-Cros, lui permettra
cependant une reconnaissance rapide.
Avec le recul des années, on peut rester perplexe devant l'enthousiasme
de Wolfgang Fink auteur du livret d'accompagnement de ce CD. S'il cite
volontiers Salvatore Sciarrino qui a dit que Pierre Boulez était
"l'un des rares compositeurs qui possèdent la clef du théâtre
musical, à savoir un style vocal absolument unique", la démonstration
n'est pas des plus convaincantes. W. Fink regrette que Pierre Boulez ne
se soit pas lancé dans l'opéra ; peut-on le regretter vraiment
?
Dans le présent enregistrement, il est totalement impossible
de comprendre un traître mot des poèmes de René Char,
poèmes très particuliers certes, comme des morceaux de rêves,
des souvenirs confus. Débités en bouillie par la voix terne
de Hilary Summers, ils nous restent totalement étrangers et il faut
se rabattre sur le livret pour en savourer la belle étrangeté.
La mezzo-soprano est même un instrument qui détone sur la
qualité des six solistes de l'Ensemble Intercontemporain, qui sont,
eux, tout à fait éblouissants de virtuosité.
Jeu brillant et plutôt démonstratif, Le Marteau sans
maître, laisse finalement une impression de divertissement exubérant
et, quoi qu'en pense W. Fink, encore vert. Car avec Dérive 1
et Dérive 2, on sent une maturité d'écriture
toute autre - trente années sont passées - et une construction
dans la lignée d'un Ligeti. Sorte d'études, ces deux
pièces ont une densité certaine et un réel impact
sur l'auditeur. L'Ensemble Intercontemporain y est tout à fait remarquable
de qualité, avec des sonorités rondes, un legato soutenu
qui donnent une sensation de mystère et, aussi surprenant que cela
soit, de sourde passion ! A eux seuls, ils méritent l'achat de ce
CD.
Pierre Boulez estimait que le sérialisme était un "aboutissement
historique" contre ses détracteurs qui le considérait comme
"un postulat hasardeux". Sans doute ni l'un ni l'autre, l'écriture
sérielle est un mouvement qui part de Schoenberg, un mouvement dont
on ne pourra mieux envisager l'importance dans la mémoire musicale
que dans quelques décennies au regard de la grande différence
de matière observée entre Le Marteau sans maître
et Dérive 1 et Dérive 2. Il n'a pas détrôné
les autres formes d'écriture et reste éloigné de certaines
formes actuelles liées à l'électronique. On pourra
de même constater que, parallèlement, la musique populaire
a pris une ampleur des plus significatives et fait preuve d'une inventivité
qui surclasse parfois celle de la musique dite "classique".
Malgré la médiatisation de Pierre Boulez, il ne m'apparaît
pas - et c'est là un sentiment très personnel - comme le
compositeur majeur que l'on nous présente. Entre Ligeti, Dutilleux,
Lutoslawski, tous plus ou moins de sa génération, voire dans
un tout autre style, les plus jeunes Glass, Picker ou Bryars, Pierre Boulez
(remarquable chef d'orchestre) paraît davantage compositeur-théoricien
et analyste praticien que compositeur-artiste.
Jean VERNE
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