Dietrich BUXTEHUDE (c.
1637-1707)
Ciaconna : il Mondo che
gira
1. Herr, wenn ich nur dich
hab (BuxWV 38)
2. Sonata en Fa (BuxWV 269)
3. Passacaglia en ré (BuxWV
161)
4-5. Sonate en la (BuxWV 272)
6-7. Dietrich BECKER (1623-1679)
: sonata en ré
8-12. Sonata III en sol (BuxWV
261)
13. Ciacona en mi (BuxWV 160)
14-16. Sonata VI en mi (BuxWV
264)
17. Quemadmodum desiderat
cervus (Bux WV 92)
Maria Cristina Kiehr, soprano
Victor Torres, baryton
Stylus PHANTASTICUS
P. Valetti, A. Beyer, violons
F. Heumann, S. Watillon, violes
de gambe
E Egüez, D. Costoyas, théorbes
M. Bonetti, harpe baroque
D. Börner, clavecin &
orgue
2003 - ALPHA 047 durée
: 60'57
Buxtehude est passé à la postérité comme
l'un des plus grands maîtres de l'orgue avant Bach. Ce dernier le
vénérait et lui rendit même visite en 1705, visite
qui excita la curiosité des musicologues et ne fut pas pour rien
dans la sortie du purgatoire de son aîné. Cependant, le Danois
nous a également laissé un important corpus d'oeuvres vocales
(un peu plus de 120 numéros) qui, pour la plupart, restent à
découvrir. Des merveilles ont pourtant été mises à
jour, à commencer par la très italienne et brillante cantate
Jubilate
Domino (BuxWV 64), le cycle "Membra Jesu Nostri" (BuxWV
75), sommet de la littérature musicale sur la Passion, ou encore
la bouleversante élégie
Muss der Tod (BuxWV 76/2)
révélé voici 25 ans par René Jacobs et que
Gilles Cantagrel n'hésite pas à rapprocher du
Lamento
d'Arianna ou de
O Solitude, la considérant, à
juste titre, comme "un chef-d'oeuvre absolu qui suffirait à faire
de Buxtehude un musicien de génie". On s'explique d'autant moins
que les chanteurs, et non des moindres, se succèdent dans la
Jubilate
Domino au lieu d'explorer cette forêt vierge et inconnue, mais
à la lisière fabuleuse.
A défaut de nous offrir des inédits, ce très bel
album propose des interprétations exceptionnelles de deux pièces
déjà enregistrées, mais avec nettement moins de bonheur,
et qui constituent les moments forts du disque. Il mondo che gira
: le monde tourne, dans un cycle incessant. Et Buxtehude de traduire en
musique cette conception nouvelle de l'univers que théorisent les
savants et philosophes du dix-septième siècle en multipliant
les compositions basées sur le procédé de l'ostinato
ou basse obstinée dont l'âge baroque est si friand. Herr,
wenn ich nur dich hab (BuxWV 38) est l'une des six oeuvres vocales
de Buxtehude fondées sur cet ostinato. Entre les lignes épanouies
et très chantantes des deux dessus (violons) se déploie la
prière du soprano, de plus en plus fervente jusqu'à l'allégresse
finale. Servie par le timbre chaud, lumineux et l'émission un rien
feutrée de Maria Cristina Kiehr (oublions vite le soprano acidulé
et glacé de Suzie Le Blanc [CHACONNE]), idéale de ton et
d'esprit dans ce répertoire, la musique semble couler de source
et le texte livre sa vérité, simple et touchante. C'est à
une écriture bien plus développée que recourt Buxtehude
dans le concert spirituel (Quemadmodum desiderat cervus) sur lequel
se referme l'anthologie. Cette fois, le croyant est totalement exalté
et n'aspire qu'à rencontrer son Créateur. Il s'épanche
dans une longue monodie très libre sertie de figuralismes éloquents,
manifestement inspirés du premier opéra italien et qui rappellent
que la virtuosité et la recherche d'effets peuvent être au
service de l'expression.
Victor Torres, dotée d'une voix saine, chaleureuse et enveloppante
(aux antipodes du ténor nasillard de Hans Jörg Mammel chez
Opus 111), ne s'agite pas, il exulte, comme dans un seul souffle, long,
infini et serein. Un sentiment de plénitude, une douce extase à
laquelle même les agnostiques ne pourront demeurer indifférents.
Les plages instrumentales, plus nombreuses, suscitent quelques réserves,
mais toutes relatives. L'invention du compositeur ne déçoit
jamais, mais les sonates jouées ici nous sont plus familières
et certaines ont connu des lectures plus abouties. Il faut dire que la
viole de Friederike Heumann paraît souvent bien terne, mais aussi
engourdie (solo de la BuxWV 269) face au jeu électrisant, félin
et d'une étourdissante souplesse de Pablo Valetti. Sans verser dans
l'excentricité parfois gratuite de certains archets italiens à
la mode, le violoniste argentin (fondateur de l'excellent Café
Zimmermann avec la claveciniste Céline Frisch) séduit
par la franchise de son engagement, presque théâtral, mais
sensible aux atmosphères changeantes de Buxtehude. Le programme
est une superbe introduction à la musique de chambre du maître
de Lübeck et ménage tout de même deux belles surprises
: les transcriptions de la passacaille en ré, miracle d'équilibre
et de perfection formelle (sinon philosophique, avec sa symbolique des
nombres), et de la chaconne en mi mineur dont l'admirable contrepoint
rehaussé de chromatismes hardis prend un relief saisissant. Ailleurs,
on retrouvera avec plaisir un Buxtehude plus personnel, avec son art consommé
des contrastes et des ruptures, cette versatilité, ce goût
de l'imprévu, sinon de la bizarrerie, qui caractérise le
stylus phantasticus, comme dans la sixième sonate de l'opus
II en mi majeur (BuxWV 264) avec ses véritables giboulées
(adagio-vivace) et ses transitions moins abruptes, comme adoucies mais
tout aussi déroutantes (poco presto-lento).
Bernard SCHREUDERS
Le
Site Alpha productions