Malena Ernman
CABARET SONGS
William BOLCOM :
Twelve Cabaret Songs from vol.1 & 2
Over the Piano, Fur, He tipped
the Waiter,
Waitin', Song of Black Max, Amor,
Places to Live, Toothbrush Time,
Surprise!,
The Actor, Oh Close the Curtain,
George
Kurt WEILL : Nannas Lied,
Youkali,
Complainte de la Seine, Je ne
t'aime pas
Friedrich HOLLÄNDER
: Laß mich einmal deine Carmen sein,
Nimm dich in acht vor blonden
Frau'n,
Ich bin von Kopf bis Fuß
auf Liebe eingestellt,
Die Kleptomanin ;
Benjamin BRITTEN : Four
Cabaret Songs :
Tell me the Truth about Love,
Funeral Blues, Johnny, Calypso
Malena ERNMAN, mezzo soprano
Bengt-Åke LUNDIN, piano
1CD BIS CD -1154; DDD; TT : 75'20
Enregistré en octobre
et novembre 2000 au Danderyds Gymnasium, Suède
Life is a Cabaret Song
Grande tornade blonde platine au physique aussi athlétique qu'avantageux
tout droit venue de Suède (où elle est à présent
un personnage incontournable de la scène lyrique, interprétant
Carmen, Rosina ou encore La Voix Humaine au Kungliga Operan, mais aussi
Sesto dans Giulio Cesare à Drottningholm ou encore
tout récemment Sally Bowles dans Cabaret au Dramaten), Malena
Ernman reste une relative inconnue de ce côté-ci de la Mer
du Nord - mais pas pour longtemps, gageons-le. Sa prestation dans l'Agrippina
menée au triomphe par René Jacobs et David McVicar aux Théâtre
de la Monnaie et des Champs-Elysées en mai 2000 a notamment déjà
contribué à lui faire un nom auprès des amateurs d'opéra
baroque; son Néron sensationnel, d'une agilité renversante,
doté d'un timbre superbement corsé aux reflets mordorés,
et d'une crédibilité scénique absolument inouïe,
a littéralement fait sensation; quant à son Roberto dans
La
Griselda de Scarlatti (toujours sous la direction de René Jacobs)
et son Cherubino dans Le Nozze di Figaro (sous la direction de Daniel
Barenboïm et dans une mise en scène de Thomas Langhoff), tous
deux au Staatsoper unter den Linden de Berlin en 1999/2000, ils lui valurent
tout simplement de figurer parmi les "révélations de l'année"
2000 de OpernWelt, dont la rédaction fut "impressionnée
par son beau timbre et sa technique vocale éblouissante" (Opernwelt,
Jahrbuch 2000 ). Ajoutez à tout ceci que cette chanteuse fait
preuve sur scène d'une aisance scénique et d'un instinct
théâtral - non dénué d'humour - époustouflants
(disons ce qui est : c'est une véritable bête de scène),
et vous en déduirez par vous-mêmes, en dehors du fait que
Malena Ernman est une chouchoute de la rédaction de Forum Opéra,
que ce disque est l'occasion de découvrir pour ceux qui ne la connaissent
pas encore une artiste hors du commun et musicalement incroyablement polyglotte,
et ce, qui plus est, dans un répertoire sortant des sentiers battus
...
Pour son premier récital chez BIS (ses précédents
récitals Ravel, Olovsson ainsi que son très joli album de
musique contemporaine suédoise Naïve sont tous parus sous le
label suédois KHM Förlaget), la mezzo a donc choisi de nous
convier au cabaret, et a pour ce faire mis les petits plats dans les grands,
puisque que c'est rien moins qu'à la table de Kurt Weill, Friedrich
Holländer, Benjamin Britten et William Bolcom qu'elle nous invite
à prendre place. En tout, une heure un quart de rires et de larmes
mêlés, avec un art subtil du pince-sans-rire et un soupçon
de folie douce, tant de la part des compositeurs convoqués que des
interprètes.
Un même esprit souffle sur ces pièces très tongue
in cheek - un même goût de l'humour grinçant, de
l'ironie, mais aussi une certaine nostalgie - ; et l'on ne pouvait rêver
meilleurs ambassadeurs que Malena Ernman et (son partenaire musical régulier
depuis plusieurs années) Bengt-Åke Lundin pour nous le restituer
avec toute la finesse et l'insolence requises. Dès le début
d'Over the Piano qui ouvre ce récital, on est confondu par
la souplesse de la voix de la mezzo, se faisant tour à tour mordante
ou caressante, ingénument sensuelle ou consciemment allumeuse, et
se payant par ailleurs le luxe d'accents jazzy (Toothbrush Time),
blues, pop ou encore gospel (Amor).
Au moment de découvrir cet enregistrement, j'avais dans l'oreille
un récital capté sur les ondes de la radio suédoise,
datant de 98 et reprenant la moitié des Songs de Bolcom et de Weill
présentées ici (suivies de deux songs de Gershwin et d'un
Mack
the Knife assez inouï en bis) dans un programme avec lequel Malena
Ernman et Bengt-Åke Lundin ont largement tourné ces trois
dernières années; d'où, à la première
écoute, une très légère frustration, la chanteuse,
d'humeur farceuse et très over the top, jouant à fond et
s'amusant comme une folle dans ce qui devait sans aucun doute être
un festin tant théâtral que vocal pour les happy few présents
au Nybrokajen 11 à Stockholm ce soir-là et à qui elle
offrit notamment un George irrésistiblement queer
et extravagant, un Toothbrush Time plus excédé que
nature, un Amor insolemment enjôleur, à la séduction
proprement dévastatrice ou encore un Black Max quasi weillien
dans sa grinçante noirceur ...
Mais ce que l'on perd, au disque, en extravagance et en déjante
(mais quoi de plus naturel - ces Songs, de par leur nature même,
appellent les réactions du public et s'en nourrissent ... et le
public stockholmois ce soir-là fit preuve d'un enthousiasme particulièrement
débridé), on le gagne en finesse, en introspection, voire,
parfois même, aussi paradoxal que cela puisse paraître, en
émotion. En deux ans, Malena Ernman a considérablement affiné
son approche de ces pièces et élargi sa palette expressive.
Tout est là, de l'ironie mordante d'Over the Piano à
la fausse candeur d'Amor, de l'humour énigmatique de The
Actor à l'amer cynisme de Surprise; chaque song entraîne
l'auditeur dans un univers différent, aux humeurs - aux affetti,
a-t'on presque envie de dire, tant son interprétation de cette musique
semble proche, dans l'esprit, de son travail opéré sous la
houlette de René Jacobs chez Händel ou Scarlatti - constamment
cernées avec une justesse qui force l'admiration, et même
l'enthousiasme, tant la finesse psychologique impressionne ... Vous pensiez
Uncle
Murray le fourreur libéré de ses soucis, maintenant qu'il
est à la retraite ? Certes ... mais écoutez alors attentivement
le portrait qu'en brosse Malena Ernman : sous l'insouciance pointent soudain
la maladie, mais plus encore la solitude ... Solitude que l'on retrouve
également dans Oh close the Curtain, saisissant tableau de
la très dépressive ambiance que nous avons tous déjà
eu l'occasion d'expérimenter à l'issue d'une soirée
mondaine ... Il n'est jusqu'aux pièces de Holländer, de Britten,
et surtout de Weill qui ne trouvent une résonance particulière
dans notre sensibilité; on retiendra notamment un Je ne t'aime
pas épuré, bouleversant dans sa si simple, si digne,
et par-là même si poignante déchirure, où tout
est dans le non-dit, dans ces soupirs étouffés, ces sanglots
refoulés, jusqu'à un "ô ma bien-aimée
..." quasiment inaudible, aveu désespéré murmuré
comme à regret ...
Mais voilà que je m'égare - séchons donc nos larmes,
et faisons le point : impossible de résister à la lancinante
mélancolie de Youkali, à la nostalgie désabusée
de Nannas Lied, aux interrogations entêtantes de Tell me
the Truth about Love, à l'implacable douleur de Funeral Blues,
à la fausse ingénuité de Ich bin von Kopf bis Fuß
... ou encore à la frénésie de Calypso; ne
vous fiez pas à son sourire timidement espiègle et à
son regard franc - elle vous le dit elle-même, il faut se méfier
des blondes, surtout lorsqu'elles sont dotées d'un timbre aussi
sensuellement corsé : kleptomane ou pas, Fröken Malena pourrait
bien, dès la première écoute, ravir vos oreilles et
votre coeur; mais qui s'en plaindra ? Si c'est le cas, un seul conseil
: laissez-vous séduire, et, même si vous ne pouvez lui dire
la vérité sur l'amour, sans doute vous surprendrez vous tout
du moins à tout laisser tomber pour lui susurrer, par-dessus le
piano idéalement caméléon et élégant
de Bengt-Åke Lundin (dont le toucher sait se faire, à l'image
du chant de sa parternaire, tour à tour mordant, rieur, chaloupé,
nostalgique) ... "Amor!" ...
Didadadidadadida ...
Amor, amor ...
Mathilde Bouhon
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