C  R  I  T  I  Q  U  E  S
 
...
[ Historique des critiques CD, DVD]  [ Index des critiques CD, DVD ]
....
......

I Capuleti e i Montecchi

« Tragedia lirica » en deux actes et six tableaux de Felice Romani

Musique de VINCENZO BELLINI (1801-1835)

Créée au Gran Teatro La Fenice de Venise le 11 mars 1830
Version Teatro alla Scala donnée pour la 1ère fois le 26 décembre 1830

Giulietta Capuleti : Patrizia Ciofi, soprano
Romeo Montecchio : Clara Polito, soprano
Tebaldo dei Capuleti : Danilo Formaggia, ténor
Cappellio de' Cappelletti (Capellio) : Federico Sacchi, basse
Lorenzo : Nicola Amodio, ténor

Coro slovacco di Bratislava, M°. del Coro : Pavol Procházka
Orchestra Internazionale d’Italia
Maestro Concertatore e Direttore : Luciano Acocella

Enregistrement réalisé au cours du mois d’août 2005,
dans la Cour d’Honneur du « Palazzo Ducale » de Martina Franca,
dans le cadre du « Festival della Valle d’Itria ».
Dynamic CDS 504/1-2

Durées : Cd 1 (acte I) : 78’03 – Cd 2 : (acte II ) : 51’11
Notes et résumé de l’intrigue en français ; livret italien-anglais




Patrizia Ciofi a plus à dire que la version Scala


La version Teatro alla Scala

Fort heureusement, la firme Dynamic ne fait pas de battage ni un argument de vente trop voyant de cette version inconnue, et le signale par une bande discrètement mise en valeur, pour ainsi dire. Du reste, l’amateur peut s’apercevoir avec étonnement que les notes de la plaquette ne mentionnent pas les différences !

On a donc recours aux documents que l’on peut posséder et à défaut, à l’écoute attentive… et intriguée.

Il est bien de notre époque de rechercher à tout prix du nouveau dans l'ancien, et d’autant plus dans le cas du pauvre Bellini, disparu si jeune et nous léguant seulement dix opéras. On tente donc de les revisiter comme l’on peut, en raclant les fonds de tiroirs des modifications que le grand Vincenzo a pu accomplir…

On a tout de même (un peu) de quoi faire avec trois opéras existant en deux versions (Adelson e Salvini, Bianca e Fernando et I Puritani), un autre démembré et réutilisé (Zaira), et enfin deux œuvres à la fin mystérieuse (Il Pirata et Beatrice di Tenda), sans parler de l’esquisse Ernani ou des opéras apparemment « clairs » et nons remaniés (La Straniera, Norma et La Sonnambula).

Avant d’examiner le résultat présenté par le nouvel enregistrement, il nous faut établir les différences d’autant plus clairement qu’elles ne semblent pas toutes suivies par cette exécution… Le bellinien émérite qu’est Friedrich Lippmann détaille ainsi l’adaptation apportée pour les chanteurs engagés par le Teatro alla Scala (*) :

- Lorenzo fut baryton puis ténor, mais d’après F. Lippmann, la version de la Scala opte pour le registre grave… alors que nous l’entendons dans cet enregistrement interprété par un ténor.

- La première partie du second air de Giulietta « Morte io non temo » (acte II) est transposée vers le grave et comporte quelques petites différences dans la conduite de la ligne mélodique. Or, à Martina Franca la seconde partie de l’air ou cabalette est également transposée vers le grave !

- Bellini supprima le dialogue avec Lorenzo inséré au milieu de cette première partie d’air… or on l’entend à Martina Franca.

- Entre cette première partie et la cabalette lente qui conclut l’air, Bellini ajoute pour Giulietta un intéressant passage assez agité mais bref  (quinze mesures) : « Morir dovessi ancora ». F. Lippmann signale qu’on l’a rechanté pour la première fois dans l’enregistrement de 1976 avec Beverly Sills.

- La cabalette lente « Ah !  non poss’io partire » aurait vu son da capo (ou reprise) coupé par Bellini, or on l’entend à Martina Franca !  Que penser ?  Friedrich Lippmann s’est trompé ou le festival « bricole » un da capo pour faire plaisir à Patrizia Ciofi ? …qui par ailleurs exécute fort bien les variations inhérentes à cette sorte de reprise.

Honnêtement, entendre le bon Lorenzo avec une voix de ténor ne change pas grand-chose… n’oublions pas que les modifications apportées par les compositeurs romantiques ne reflétaient pas forcément une volonté d’améliorer la partition, mais simplement une nécessaire adaptation aux moyens des chanteurs engagés par les théâtres où étaient repris leurs opéras.

En ce qui concerne l’adaptation des rôles de Giulietta et de Romeo, il faut se rappeler que la dénomination de « mezzo-soprano » est moderne, le XIXe ne faisant la différence qu’entre soprano et contralto. Malgré cette relativisation, l’auditeur doit vraiment avoir les idées –et les oreilles !- claires pour s’y retrouver ici. En effet, à la Scala Bellini remanie Giulietta pour un mezzo, (Amalia Schütz Oldosi) chanté ici par Patrizia Ciofi qui est soprano (!). Il laisse apparemment la partie de Romeo telle qu’elle est, pour la bonne raison que c‘est le même mezzo Giuditta Grisi, créatrice du rôle à Venise, qui va le rechanter à Milan, or le Festival della Valle d’Itria le confie à Clara Polito, indiquée comme soprano !

Que l’amateur se rassure par rapport à I Capuleti e i Montecchi qu’il connaît : la différence est tout de même perceptible. Pour la partie de Romeo, non transposée mais chantée par une voix plus aiguë, comme pour le second air de Giulietta, transposé vers le grave mais toujours chanté par un soprano !

En fait, la différence de tonalité pour le second air de Giulietta enlève au personnage un peu de son côté juvénile et rêveur… Giulietta semble ici plus consciente, plus « femme », bien que les ornementations de la ligne vocale, plus nombreuses, restituent quelque peu l’aspect éthéré et rêveur. Dans cet état d’esprit de femme plus « mûre », l’ajout de Bellini « Morir dovessi ancora », aussi court qu’il soit, se montre judicieux. L’angoisse du personnage n’en est que plus forte, plus consciente. La cabalette « Ah ! non poss’io partire », également transposée à Martina Franca, confirme la sensation d’un personnage plus conscient, quoique Patrizia Ciofi la démente par la suite, en ajoutant tant de fioritures dans la reprise que la ligne mélodique en est quelque peu altérée… c’est le danger pour la divine pureté de la musique de Bellini. L’un de ses charmes étant la sobriété, le dépouillement de la mélodie, celle-ci n’a pas besoin d’ornementations, n’a que faire de variations, précisément trop belle et parfaite pour être variée !  D’autre part en l’ornementant trop, on regarde vers un passé baroque, en la tirant vers un maniérisme dépassé par le Romantisme.


L’enregistrement

On découvre d’abord le Tebaldo du ténor Danilo Formaggia au beau timbre clair mais chaleureux, entaché seulement et c’est dommage, par un suraigu fort laid (dans le duo avec Romeo, à l’acte II). En contrepoint, la basse Federico Sacchi confère avec efficacité au rôle de Capellio, l’autorité et l’inflexibilité un peu sommaire dont a besoin ce personnage en retrait. Parallèlement, et c’est la première différence de cette version Teatro alla Scala, le bon Lorenzo est ténor, en l’occurrence l’efficace Nicola Amodio, ce qui donne au rôle un air juvénile inhabituel mais sympathique.

Clara Polito est un Romeo sensible et vaillant, atu beau timbre uni, égal, avec un joli vibrato dans l’aigu et une capacité à la colorature (varier les reprises). La clarté de son timbre et l’inusité suraigu final de cabalette rappellent que l’artiste est notée soprano.

Patrizia Ciofi s’impose dès son récitatif d’entrée, de son timbre pur, égal et pourtant comme voilé, de cette sensibilité, cette chaleur avec lesquelles elle aborde tout rôle !  Elle est ici entièrement au service du miracle bellinien : dans la sublime romance d’entrée de Giulietta, où la magie de Bellini suspend notre existence dans des sphères impalpables et mystérieuses, aussi bien que dans l’air du second acte, transposé vers le grave, et donnant à Giulietta une présence plus réelle.

Dans les duos, la conjugaison de leurs voix fait merveille, malgré la proximité de cette tessiture commune de soprano, et le charme opère une fois encore.

Les chœurs de Bratislava sonnent corrects et efficaces, ainsi que l’Orchestra Internazionale d’Italia, dont les cuivres offrent cette curieuse sonorité sympathique seyant à Bellini. Luciano Acocella, en tant que chef-d’orchestre, trouve la juste pulsation pour cette musique tour à tour alanguie ou pimpante, et naïvement - mais irrésistiblement- empanachée, qu’il ne faut faut surtout pas brusquer. La mélodie de Bellini, « longue, longue, longue », comme disait Verdi, a besoin de s’épandre doucement, de s’écouler peu à peu. L’opéra romantique italien requiert des chefs échappant à la tendance moderne erronée consistant à croire que précipiter les tempi rend la musique dramatique. On se réjouit de savoir que I Puritani et Lucia di Lammermoor sont passés par ses mains.

Une fois établi le fait que les différences, minimes, ne donnent pas une dimension particulière à cet enregistrement, il demeure que ce dernier reflète une exécution de bon niveau mais n’en dépassant pas forcément d’autres, en studio ou en public. Il vaut d’abord par la grande interprète, le grand art de Patrizia Ciofi et s'adresse à ses fans ou encore à ceux du divin Vincenzo, voulant tout avoir de tous ses opéras !…

Celui qui souhaite découvrir l’opéra ou entrer d’emblée dans sa quintessence, trouvera en Renata Scotto la plus poignante des Giulietta, avec la « curiosité-bricolage » d’entendre Romeo en ténor… ayant du reste une rude concurrence dans le Tebaldo solaire de Luciano Pavarotti. Plus proche de l’esthétique bellinienne, on considérera le couple Gruberova-Baltsa, merveilleusement assorti de velouté, de chaleur et de délicatesse, et servi par un Riccardo Muti en état de grâce.


   Yonel Buldrini


(*) In : Vincenzo Bellini (en collaboration avec Maria Rosaria Adamo pour la biographie) ; publié par ERI / Edizioni RAI Radiotelevisione Italiana, Turin, 1981.


Commander ce CD sur  Amazon.fr
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]