Georges BIZET (1838-1875)
CARMEN
Opéra en trois actes
Livret de Henri Meilhac et Ludovic
Halévy
d'après la nouvelle de
Prosper Mérimée
Carmen : Teresa Berganza
Don José : Plàcido
Domingo
Escamillo : Sherill Milnes
Micaëla : Ileana Cotrubas
Frasquita : Yvonne Kenny
Mercedes : Alicia Nafé
Zuniga : Robert Lloyd
Moralès : Stuart Harling
Dancaïre : Gordon Sandison
Remendado : Geoffrey Pogson
Andrès/Le Guide : Jean
Lainé
Une Marchande : Shirley Minty
Un Bohémien : Leslie Fyson
Lilas Pastia : George Main
Un soldat : Richard Amner
The Ambrosian Singers - Direction
John Mc Carthy
George Watson's College Boys
Chorus - Direction Patrick Criswell
London Symphony Orchestra
- Direction Claudio Abbado
2 CD DG n°00289 477 5342 Collection
"The Originals"
Octobre 2005 (Première
publication en 1978)
Enregistré à Edimbourg,
George Watson College Août 1977
et Londres, St John's Church,
septembre 1977.
Durée totale : 157'33.
CARMEN FOR EVER
Rarement, un rôle aura fasciné comme celui de Carmen, à
tel point qu'un nombre impressionnant de cantatrices, mezzos et sopranos
confondus, l'ont chanté, et/ou enregistré, avec plus ou moins
de bonheur, bien sûr. Citons pêle-mêle : Régine
Crespin, Victoria de Los Angeles, Fiorenza Cossotto, Katarina Karneùs,
Christa Ludwig, Regina Resnik, Marylin Horne, Grace Bumbry, Agnes Baltsa,
Leontyne Price, Shirley Verrett, Elena Obraztsova, Julia Migenes-Johnson,
Maria Ewing, Tatiana Troyanos, Solange Michel, Joséphine Veasey,
Maria Callas, Angela Gheorghiu, Béatrice Uria-Monzon, et même
Brigitte Fassbaender, Anne-Sofie von Otter, et bien d'autres encore, sans
oublier Teresa Berganza, qui est la Carmen de l'enregistrement dont il
est question aujourd'hui.
Pourquoi un tel engouement ? Sans doute parce qu'il s'agit, avec Traviata,
de l'opéra le plus célèbre du monde, et que, contrairement
au rôle de Violetta, incontestablement dévolu à un
soprano, celui de Carmen peut être chanté aussi bien par des
mezzos que des sopranos dramatiques et même lyriques.
Aujourd'hui, la réédition de cet enregistrement réalisé
dans la foulée des représentation d'Edimbourg en août
1977, nous permet de prendre la pleine mesure de l'importance et du retentissement
de l'événement, salué à l'époque par
toute la critique.
Rarement, on aura autant ressenti le passage de la scène au disque
- c'est comme si quelque part, on se trouvait dans la salle de spectacle,
avec le même plaisir - et ce, surtout grâce à Abbado
et son extraordinaire orchestre, considéré à l'époque
et à juste titre comme l'un des meilleurs dans le domaine lyrique,
sinon le meilleur.
Rarement, on aura entendu une Carmen plus "tonique", plus sensuelle
aussi, pas grandiloquente pour deux sous, proche de ce qu'elle dut être
à la création : juvénile, naturelle, spontanée.
Même avec Karajan, Bumbry et Vickers, pourtant formidables, on ne
retrouvera pas cette fraîcheur. Incontestablement, il subsiste quelque
chose de la scène et de son insolente liberté dans cette
version. Il est vrai qu'il s'agit de l'originale, avec les dialogues parlés,
certes parfois un peu "exotiques", surtout avec Domingo et Milnes, mais
où ce que l'on perd en clarté est compensé par ce
que l'on gagne en authenticité.
Berganza hésita longtemps avant de chanter ce rôle et si
Peter Diamand, alors directeur du Festival d'Edimbourg, finit par la persuader
de le faire, ce fut à la condition que ce soit dans une mise en
scène qui, selon ses propres termes, réussirait à
"effacer l'image distordue de Carmen qui a toujours été présentée
au public". Le résultat fut au-delà de toute espérance,
et marquera, certes la postérité. L'incarnation de la mezzo
espagnole est certainement une des plus abouties, si ce n'est pas la meilleure,
aux antipodes, en tout cas, de celle campée, au présent comme
au passé, par nombre de ses consoeurs, souvent tentées par
une vision vulgaire, voire triviale du personnage. Rien de surprenant à
ce que cette mozartienne et rossinienne hors pair nous livre avec musicalité,
finesse, et raffinement, une Carmen noble et fière, secrète,
mais aussi insolente, emplie d'humour et avant tout éprise de liberté.
Il y a quelque temps, au cours de l'émission "Cordes sensibles",
sur France Musique, elle précisa qu'elle avait abordé ce
rôle au moment où elle se séparait de son mari, le
pianiste Felix Lavilla, qui fut pendant longtemps son accompagnateur attitré.
Elle ajouta que, pour elle, le fait d'avoir eu à chanter la phrase
: "Et surtout la chose enivrante, la liberté, la liberté
!" joua un rôle décisif dans cette période cruciale
et contribua à l'aider à se libérer de cette situation
douloureuse et difficile.
Par chance, une série de représentations de la production
d'Edimbourg fut donnée en 1980, salle Favart, à l'époque
bénie où l'Opéra-Comique faisait partie du giron généreux
de l'Opéra National de Paris, avec un immense succès, comme
on peut l'imaginer. Domingo y alternait avec Vanzo, Ricciarelli y était
Micaëla et Raimondi, Escamillo, avec au pupitre, non pas Abbado, mais
Serge Baudo. Il existe une captation vidéo d'une de ces représentations,
qui fut diffusée à la télévision.
Dans cette version discographique, Domingo est à son apogée
sur le plan vocal, même si sa diction en français n'est pas
toujours très intelligible (elle devait d'ailleurs beaucoup s'améliorer
par la suite). En tous cas, son Don José est très crédible,
à la fois éperdu, passionné, émouvant. Grand
habitué du rôle, il le gravera une deuxième fois avec
Solti et Troyanos en Carmen. Il existe, avec lui également, un DVD
d'une représentation dirigée par Kleiber avec Obraztsova,
sans oublier le film de Francesco Rosi avec Julia Migenes et Raimondi.
Ileana Cotrubas est une touchante Micaëla, musicienne en diable,
et quasiment proche de l'idéal, tant elle sonne "juste". Certes,
Ricciarelli au Comique déploiera peut-être plus de splendeurs,
et on pourra préférer à l'Escamillo de Sherill Milnes
celui de Raimondi, sans doute plus opulent. Il n'empêche que le baryton
américain demeure superbe.
En Frasquita, on retrouve la jeune Yvonne Kenny, qui avait d'ailleurs
chanté Micaëla à Edimbourg, et la somptueuse Mercedes
d'Alicia Nafé. Les autres rôles sont parfaits avec une mention
spéciale pour un Zuniga "de luxe" en la personne de Robert Lloyd.
Le choeur est proprement phénoménal et la scène
des Arènes "A dos cuartos" respire, avec lui, une vie extraordinaire.
En conclusion, un enregistrement à posséder dans sa discothèque,
pour la noblesse de Berganza et son incarnation très personnelle,
l'engagement de Domingo, la délicatesse de Cotrubas et - last but
not least - la fougue d'un Abbado à son zénith.
Juliette BUCH
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