Carmen
Opéra en quatre actes de Georges Bizet
Livre de Henri Meilhac et de Ludovic Halévy
Angela Gheorghiu (Carmen),
Roberto Alagna (Don José),
Inva Mula (Micaëla),
Thomas Hampson (Escamillo),
Elizabeth Vidal (Frasquita), Isabelle Cals (Mercédès),
Ludovic Tézier (Moralès), Nicolas Cavallier (Zuniga),
Nicolas Rivenq (Le Dancaïre) et Yann Beuron (Le Remendado).
La Lauzeta, choeur d'enfants
Choeur "les Eléments"
Orchestre National du Capitole de Toulouse
Direction: Michel Plasson
3 CDs EMI (Avril 2003)
Pour un fan de Roberto Alagna ou d'Angela Gheorghiu, la sortie de cette
Carmen
est probablement un grand évènement, attendu depuis des mois
et fêté comme il se doit. Est-il téméraire de
parier que le mélomane
lambda, titre dont je me qualifie
volontiers, observe cette nouveauté d'un oeil suspect et y tende
une oreille incrédule ? Quoi qu'il en soit, nous sommes là
face à une sortie qualifiée de "majeure" par EMI et devant
cette affirmation, on préfère croire que le terme choisi
se rapporte à la marge bénéficiaire de la firme de
disque plutôt qu'à l'accomplissement artistique du produit.
Seconds couteaux très affûtés
Avant tout, il faut saluer le travail de casting réalisé
sur les seconds rôles, car tous - sans exception - ont été
confiés à de jeunes chanteurs à la diction exemplaire
et dont l'entrain fait plaisir à entendre. Le duo de gitanes légèrement
nymphomanes, confié à Isabelle Cals et Elisabeth Vidal, est
très efficace; leur pendant masculin, assuré par Yann Beuron
et Nicolas Rivenq, est tout aussi agréable à écouter.
Nicolas Cavalier est un Zuniga artificiellement vieilli, dont la grande
et belle voix paraît démesurée par rapport à
l'emploi qui lui est confié. Jamais avare de bons dictons, EMI a
retenu qu'abondance de biens ne nuit pas.
Ludovic Tézier est, quant à lui, épatant en Moralès.
Son air du pantomime est un des sommets de ce disque : la voix est claire
et jeune, la prononciation impeccable; on en vient à regretter qu'il
ne se soit pas hissé un cran au-dessus dans la distribution et qu'il
n'ait bouté (courtoisement) Thomas Hampson hors du rôle d'Escamillo.
Las, bien que cela n'ait certainement aucun lieu de cause à effet,
peu avant la sortie du présent coffret, Tézier se faisait
huer au Met dans le rôle du Toréador psychorigide.
Les charmes du collant rose
Ceci étant dit, il reste à évoquer, rapidement,
les quatre rôles principaux. Thomas Hampson ne fait qu'agacer en
Escamillo; ses ports de voix, ses grands coups de menton, son français
insuffisant, en font un Escamillo tout juste bon à se faire ovationner
au Met. La puissance vocale est certainement de la partie et, sur scène,
l'acteur doit faire des miracles en collants roses, mais au disque, seul
nous reste le loisir de le fantasmer.
Sans avoir franchement les mêmes emplois, on peut dire plus ou
moins la même chose de la Micaëla d'Inva Mula et de la direction
de Michel Plasson; à savoir que, sans être foncièrement
désagréables, on n'en retient pas grand chose. La comparaison
s'arrête là, car Michel Plasson n'a pas la fraîcheur
pulpeuse de sa soliste qui est très loin, tout de même, de
la belle Micaëla qu'enregistrait Angela Gheorghiu avec Sinopoli.
Bonnie and Clyde
La démarche du couple vedette et de son éditeur est relativement
transparente : sortir le plus d'intégrales possibles de grands classiques
de la musique afin de viser le public le plus large possible et d'encaisser
le plus d'argent possible. Bien que ceci ne soit pas une critique et qu'il
n'y ait après tout aucun mal à vouloir gagner de l'argent,
on peut tout de même se demander où est passé, dans
cette entreprise, le souci artistique... L'élément que personne
ne se sera privé de mettre en exergue est que Carmen est, tout de
même, un rôle de mezzo. Que Madame Gheorghiu le chante d'un
bout à l'autre en respectant scrupuleusement la partition n'est
pas à mettre en doute : elle y parvient. Ce qui pose problème,
c'est qu'à force de se réfugier dans la voix de poitrine,
il y a fort à parier que ce délicieux vibrato qui
fait aujourd'hui tout le charme de la soprano roumaine, se transforme bientôt
en ronronnement d'hydravion en péril.
Le problème majeur d'Angela Gheorghiu reste son français
qui, bien qu'exotique, n'a vraiment rien de délicieux. Il n'y a
pas de mal à avoir l'accent d'une hôtesse de l'air de Tupolev
bulgare ; mais n'est-ce pas un peu déplacé quand on prétend
incarner le sex-appeal gipsy ? Le simple fait d'entendre Madame
Gheorghiu prononcer le nom "Carmencita" risque de provoquer quelques irrépressibles
crises d'hilarité. Imaginez que le disque passe un jour sur France
Musiques : les autoroutes devront être fermées, sous peine
de donner un coup de pouce au taux de mortalité au volant. Cette
saillie mise à part, on regrette vivement que Madame Gheorghiu ne
se contente pas de chanter des rôles qui lui conviennent ; rappelons
que sa Leonore du Trouvère fut l'une des plus belles choses
enregistrées depuis longtemps!
Cris et chuchotements
Reste Roberto Alagna qui, vocalement, bonifie avec les années
: son instrument a gagné en largeur sans perdre quoi que ce soit
dans l'aigu et le timbre est plus beau que jamais. Hélas, une fois
encore, Roberto nous impose ses effets dramatiques d'un autre âge;
ses miaulements, ses suppliques larmoyantes - vraiment, quel gâchis
!
Comparé à la Carmen de Sir Thomas Beecham, parue
il y a plus de quarante ans et qui proposait des artistes de la trempe
de Victoria de Los Angeles, Nicolai Gedda et Ernest Blanc, cette Carmen
fait assez pâle figure. On a le sentiment d'assister à un
épiphénomène qui un jour fera sourire au même
titre que les invraisemblables kitscheries de Marilyn Horne dans le même
rôle. Un disque pour lequel la palme revient aux seconds couteaux
et l'anathème aux têtes d'affiches, est appelé à
disparaître des catalogues une fois que la gloire des deux vedettes
aura perdu de sa patine.
Hélène Mante
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