Emilio De'Cavalieri
(c. 1550-1602)
Rappresentatione
di Anima e du Corpo
(Rome, 1600)
Johanette Zomer (Anima),
Marco Beasley (Corpo / Tempo),
Jan van Elsacker (Intelletto),
Stephan MacLeod (Consiglio /
Mondo),
Dominique Visse (Piacere),
Nuria Rial (Angelo custode),
Béatrice Mayo Felip (Vita
mondana),
Angeli in cielo (Céline
Vieslet, Béatrice Mayo Felip,
Lauren Armishaw, Vincent Lesage,
Nicolas Achten),
Anima Damnata (Matthew Baker),
Anime damnate nell'inferno (Jürgen
Banholzer, Harm Huson,
Stephan van Dyck, Nicholas Achten,
Matthew Baker),
Anime beate nel cielo (Elizabeth
Dobin, Céline Vieslet,
Lauren Arminshaw, Béatrice
Mayo Felip)
L'Arpeggiata
Direction Christina Pluhar
2 CD Alpha 065 - 2004
On débattra encore longtemps de
savoir quel est le premier opéra de l'histoire de la musique.
Orfeo
? L'
Euridice de Peri ? Ce qui est certain, c'est que les presque
vingt années qui séparent la représentation de
La
Pellegrina, pour les noces de Ferdinand de Médicis avec Christine
de Lorraine en 1589, de la représentation à Mantoue de l'
Orfeo
en 1607, sont parmi les plus passionnantes de l'histoire de la musique.
Et bien qu'il n'ait pas écrit d'opéra, au sens restrictif
du terme, Emilio de'Cavalieri est l'un des personnages centraux de sa naissance.
Quand il fait représenter
La Pellegrina à Florence,
il vient d'être engagé par Ferdinand de Médicis pour
être le premier "surintendant artistique" de l'histoire de la musique.
Archétype de l'humaniste de la Renaissance, membre d'une lignée
patricienne et fils d'un architecte ami de Michel-Ange, il a tous les talents
: celui des lettres, de la musique, de la danse, de la politique. Et il
attire bien sûr toutes les intrigues, qui lui feront reprendre en
1599 la route de Rome, victime de la cabale de Caccini et de Peri.
Il y arrive pour l'année sainte 1600 et reçoit la commande
d'une histoire sainte, qui sera représentée à la congrégation
des Oratoriens de Philippe de Néri. L'analogie avec l'opéra
est patente : l'oeuvre est donnée pendant le jubilé qui remplace
le carnaval, un opéra sacré qui met en scène un dialogue
entre l'âme et le corps, dans la tradition des représentations
sacrées qui existent depuis l'époque médiévale.
Le magnifique livret de Manni associe la simplicité et la ferveur,
en respectant à la lettre les principes rhétoriques de la
confrontation. Il fait intervenir avec bonheur d'autres personnages que
les deux principaux protagonistes, ce qui permet au compositeur de varier
les affects et de nourrir le ressort dramatique, comme dans la deuxième
partie, avec le spectaculaire dialogue entre l'Intelligence, le Discernement,
les âmes bienheureuses et les âmes damnées. De varier
aussi les modes d'écriture, prévoyant par exemple une pièce
en écho. En deux parties, l'action se déroule sur trois plans
scéniques : la terre, le ciel, l'enfer. Cavalieri y déploie
tout l'art du recitar cantando, en écrivant précisément
l'ornementation.
Tout le talent de Christina Pluhar et des interprètes réside
dans l'exploitation de la veine dramatique de l'ouvrage. La latitude laissée
par Cavalieri dans la réalisation du continuo rejoint l'intelligence
des musiciens, dont le travail est un véritable commentaire du texte.
Mais le succès découle aussi du casting rigoureux
des voix, chacune correspondant idéalement au personnage qu'elle
représente : face à un Marco Beasley merveilleusement charnel,
Johanette Zomer semble encore plus radieuse, et l'Intelligence, ténor
en voix de tête, plus limpide... Chaque chanteur pratique un recitar
cantando d'une agogique parfaite, loin de la monotonie et du statisme
souvent entendus dans ce genre de pages. Les incises instrumentales comme
la mélancolique sinfonia d'ouverture et le passamezzo
de Susato (somptueux cornets) participent aussi à l'installation
immédiate du décor. Tout comme de subtiles idées de
"mise en situation", telles ces secondes égrenées au clavecin
à l'arrivée en scène du Temps. Et évidemment
une chaconne, comment Christina Pluhar y résisterait-elle ?
À cette perfection musicale, s'ajoute celle d'une prise de son
exceptionnelle, et de l'édition. Dans la série Ut Pictura,
Denis Grenier offre une analyse du Jugement Dernier de Michel-Ange,
judicieusement choisi, puisque le père d'Emilio, Tommaso da'Cavalieri,
ami du peintre, fut le modèle du Christ. Musique et fresque se répondent
dans l'évocation esthétique et fascinante du destin désordonné
de l'homme, à laquelle nul ne pourra rester insensible.
Sophie ROUGHOL
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