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Georg Friedrich HAENDEL
GIULIO CESARE IN EGITTO
Livret de Nicola Francesco Haym
Jeffrey Gall (Cesare),
Herman Hildebrand (Curio)
Mary Westbrook-Geha (Cornelia),
Susan Larson (Cleopatra),
Lorraine Hunt (Sesto),
James Maddalena (Achilla),
Drew Minter (Tolomeo),
Cheryl Cobb (Nirena)
Sächsische Staatskapelle Dresden
dir. Craig Smith
Mise en scène Peter Sellars
Produit dans les studios de Defa-Film, Babelsberg, 1990, à
partir d’une production du Théâtre de la Monnaie de
Bruxelles.
4 :3 - son 5.1 / Stereo
2 DVDs toutes zones
239 minutes
Decca 071 4089
Sellars de se lever
Peter Sellars ne laisse jamais indifférent. Son obsession de
l’actualisation peut quelquefois tendre vers le sublime (la Theodora avec Christie) mais chez Jules César,
cela va de mâle empire. Et l’intérêt de ce
DVD, outre le fait de nourrir les pauvres critiques musicaux et les
distributeurs dudit disque, est avant tout de débattre de cette
mise en scène provocatrice qui fit tant de bruit à
l’époque.
Bruit en effet, car, côté musique, les mélomanes
feraient bien de se jeter religieusement sur leur enregistrement de
René Jacobs (Harmonia Mundi) et d’oublier
jusqu’au nom de ce chef d’orchestre que la jaquette du DVD
a volontairement inscrit en petite police au-dessus d’un
énorme, gras et écarlate « Directed by Peter
Sellars ». La Sächsische Staatskapelle de Dresde cumule
les handicaps de ses instruments modernes, d’une prise de son qui
l’écrase et d’un chef particulièrement peu
imaginatif. La direction est pâteuse et molle, sans conviction
aucune, avec des attaques imprécises et une sorte de flottement
blasé. Le chef semble honnir toute progression dramatique et
évite tout jeu de tension et de relâchement en
débitant ses mesures au kilomètre (ou au
métronome) pendant 239 minutes aussi interminables
qu’une traversée de l’Atlantique à la rame
sans radio.
Tant bien que mal, sur l’étroite scène des studios
Babelsberg (si célèbres pour leur reconstruction
d’un décor de U-Boot
à visiter sur place) les chanteurs se démènent en
dépit des contorsions ridicules qui leur sont imposées.
Jeffrey Gall incarne un César vif, mais bien mal à
l’aise dans les ornements des airs de bravoure. Les aigus sont
puissants mais criards, les graves peu audibles, le chant assez
monotone. Les plus beaux airs de l’imperator
passent quasiment inaperçus, d’un
« Empiò, diro, tu sei » mitraillé
avec désinvolture à un « Va
Tacito » où le contre-ténor - assis et jouant
aux missiles aves ses stylos multicolores - plaide en vain pour une
position plus confortable et des cors qui dialogueraient avec lui.
Susan Larson paraît écrasée par un rôle
difficile et qui dépasse ses moyens. Il est vrai que
seules la tragique Lynne Dawson chez Malgoire (Astrée) voire
l’espiègle Danielle de Niese avec Christie (Opus Arte) ont
su capter toute la complexité du personnage de cette jeune fille
altière, charmante et ambitieuse qui mûrit peu à
peu au cours du drame. La dernière héritière de la
dynastie des Ptolémée n’est ici qu’aigus
fêlés et acides, incapable de nuancer la ligne de chant
(le lamento « Piangerò sorte mia » en souffre particulièrement), ou d’orner convenablement ses da capos.
Par pudeur, nous passerons un voile désabusé sur le reste
de la distribution d’où émergent seulement
l’excellent Sesto de la très regrettée Lorraine
Hunt, ivre de vengeance et de douleur, et le Tolomeo correct de Drew
Minter (au vibratello toutefois agaçant).
Mais rassurez-vous, amis masochistes, vous n’en êtes
qu’au début de vos douleurs ! Peter Sellars arrive de
ce pas avec son armada de punks, de gants cloutés, de ketchup
sanguinolent et de slips moulants. Le metteur en scène part
d’une transposition intéressante : et si César
n’était qu’un Nixon antique qui venait au
Proche-Orient avec ses navires ornés des logos de compagnies
pétrolières ? Et si Cléopâtre
n’était une vulgaire allumeuse outrageusement
fardée, bouée rose au cou, et dont le bikini doré
ressemble à une couche de kangourou ? Et si
Ptolémée n’était qu’un minable truand,
cheveux rouges et blouson de cuir, obsédé sexuel de
surcroît ?
Malheureusement, le gouffre séparant l’idée de
génie de sa réalisation (autrefois fatal à
l’Aqueduc de l’Eure qui devait alimenter les fontaines de
Versailles ou à la conquête de la Grèce par
Xerxès) ne permet au canevas de Sellars de fonctionner que
pendant les 7 minutes 8 secondes du premier acte, lorsque le US President Jules
César arrive derrière son pupitre et débite son
« Presti omai » à un parterre de
journalistes. Car - comme l’écrit le Père Fourras
dans son ouvrage de référence (Additions aux Maximes du Duc de La Rochefoucault,
tome second) - « les grosses ficelles s’usent
rapidement » (p. 123). En effet, cette mise en scène
ne parvient jamais à insuffler de continuité au
récit, qui se transforme dès lors en succession de
sketches caricaturaux. Les acteurs – pardon chanteurs - sont
contraints à gesticuler de manière apparemment
désordonnée et l’ensemble tourne rapidement
à vide, tandis que drame et émotion
s’échappent du plateau aussi vite que les soldats de
Saddam Hussein devant les chars américains. La comparaison est
douteuse et malvenue, me direz-vous ? Ajoutez-y un zeste de libido
scabreuse et vous aurez un avant-goût de ce spectacle
décadent où la laideur des décors le dispute
à celle des costumes. Félicitations, très cher
ami, vous venez de transformer une victoire romaine en
débâcle artistique.
Pour ne rien vous cacher de ce Nixon en Egypte,
le voyage dans l’étang est en outre accompagné par
une caméra voyeuriste et scolaire. En hommage tacite (?)
à La Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer et à l’expressionnisme allemand, les cinq cameramen
ne cessent d’user du gros plan appuyé et remportent
à l’unanimité le prix du concours du Méga
Ciné-Club du Collège Saint-Michel
d’Arthuse-sur-Yvers pour ces vignettes d’anthologie. Le
spectateur n’ignorera donc plus rien des débuts de rides
de Cléopâtre, du maquillage caramélisé des
soldats, ou de certaines parties intimes du pharaon
Ptolémée révélées par un maillot de
bain azur très près du corps. Et comme un malheur
n’arrive jamais seul, la synchronisation son-image a l’air
douteuse, certains airs ressemblant furieusement à du play back.
A cet instant précis, l’indignation et
l’écœurement du rédacteur
l’empêchent de poursuivre. Il jette un regard perdu, peine
à reconnaître sa prose si emportée, hésite
à réécrire l’article sur un ton analytique,
froid, pseudo-impartial. « Force est de constater que le
paradigme transpositionnel de Sellars se heurte ici aux limites
inhérentes au langage, tant dramatique que musical, qui
structure l’œuvre haendélienne tributaire du
Siècle des Lumières. De même, l’introduction
aléatoire d’éléments déstabilisants
dans une concaténation comique conduit à un sentiment
peccamineux orthogonal à l’essence opératique
baroque, qui si elle procède de la juxtaposition des registres
et de la variété des affects ne sauraient
s’apparenter à une succession fragmentée de
scènes choquantes.» Non, décidément trop
pompeux. A côté de lui, comme pour lui rappeler que Giulio Cesare
demeure l’une des plus belles œuvres d’Haendel
trônent l’opulent DVD de William Christie (Opus Arte) et la
version de référence de René Jacobs (Harmonia
Mundi).
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