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Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

COSI FAN TUTTE

Fiordiligi, Edita Gruberova
Dorabella, Dolores Ziegler
Despina, Teresa Stratas
Ferrando, Luis Lima
Guglielmo, Ferrucio Furlanetto
Don Alfonspo, Paolo Montarsolo

Wiener Philarmoniker
Nikolaus Harnoncourt

Mise en scène, Jean-Pierre Ponnelle

2 DVD Deutsche Grammophon, 00440 073 4237




Passeurs de lumière

Harnoncourt versus Ponnelle, bis. Leur Mitridate est un pan arraché à l’éternité, un morceau d’histoire. Qu’en est-il de leur Così ?

On le sait, la méthode du metteur en scène fait souvent grincer des dents. On adore ou l’on déteste cette imagerie démonstrative qui joue sur tous les terrains sauf sur celui de la suggestion. Tout ce que le maître a à dire est dit, redit et souligné. Pas un visage qui échappe à son attention ; pas une ridule non plus (Ann Murray s’en est mal remise dans Mitridate).

Ici, Ponnelle est en fin de parcours ; c’est peu dire même puisqu’il ne monta pas le film, décédant à l’issue des prises de vue. Mais la force d’inertie de sa course folle le conduit sur des rivages esthétiques ultimes, tels qu’il ne les avait jamais abordés. Une épure en gris et blanc ; presque une ascèse (toutes proportions gardées ; c’est Ponnelle tout de même, avec toujours un peu de poudre jetée aux yeux). Quelle étrange lumière pourtant, entre surnaturel et nostalgie, que celle qui nimbe l’action dans son entier.  Quelle belle vision (et combien inédite malgré le procédé euh… rustique), aussi, que le long plan-séquence de Soave sia il vento sur une mer au charme indicible… Ponnelle abandonné aux mains de Caron, déjà… Mozart, passeur des âmes… Si vain et tellement indispensable…

Le reste (la « méthode Ponnelle » et le « système Mozart ») est bien là. Le jeu goldonien ; la comédie des cœurs jamais complètement ouverts, toujours dissimulés. Le jeu des masques et des attitudes ; la discrétion d’un geste, d’un regard soumis à celui, scrutateur, de la caméra ; l’artifice toujours, pourtant. Un peu d’outrance aussi (Stratas) et quelques outrages (à la partition chez Montarsolo qui fait ce qu’il peut mais avec génie) ; un Così qui pourrait n’être qu’une bonne routine superlativement filmée, après tout.

Routine ? Gruberova n’a objectivement pas tous les moyens de Fiordiligi. Ziegler est gentillette mais tout de même un peu légère, ou bien palotte, ou bien incroyablement sur-distribuée en regard des Ludwig, Berganza et autres Bartoli qui ont marqué le rôle. Lima a plus de ligne dans la silhouette que dans la voix (riche en testostérone) et son Aura amorosa manque de beaucoup de ces petites choses qui font le style mozartien (mais pas de cœur tout de même). Et Montarsolo, on l’a dit, n’a plus que des mots sur une trame élimée, comme Stratas d’ailleurs… quand bien même, ils sont des meneurs de jeu de chair, de sang, aux accents incandescents de soufre pulvérulent.

Alors ? Alors il y a d’abord Harnoncourt qui, à la tête des Wiener Philarmoniker est garant d’une certaine orthodoxie mais aussi d’une folle inventivité dans le propos comme lui seul (ou à peu près) peut l’offrir. Car le chef prend la partition à bras le corps quitte à la violenter ; sa baguette en tire des accents qui, comme la caméra de Ponnelle, dit tout de ces cœurs-ci qui s’ébattent, s’égayent, souffrent et pleurent.

Alors, il y a aussi le fait qu’on aura rarement vu Gruberova aussi « torrentielle » de son… Le Come scoglio est d’une grande tragédienne, plein d’acuité, acide parfois et court de graves souvent, mais d’une ampleur rare. Et son Per pieta est, en terme de bel canto et d’investissement, un bijou fragile, un micro-événement au charme à la fois dense et vaporeux que l’on craint de ne pouvoir saisir… et que l’on repasse en boucle avec la joie de renouveler l’impalpable magie de l’instant. La dame s’amuse en général à jouer (avec talent) la fofolle… et rien que pour cela, l’image vaut le détour. C’est aussi le cas de sa sorella et de la vipérine Despina de Stratas.

C’est enfin le moment où jamais de saisir le Guglielmo de Furlanetto que l’on a vu et entendu souvent mais jamais aussi détendu, agile, félin, incontournable en fait. La voix a l’assise qu’il faut au rôle, le grave sanguin, innervé, et l’aigu fier, délié. Le mot est savoureux, juteux comme un fruit arrivé à maturité avant de glisser sur la pente fatale de la flétrissure. La présence en général écrase presque celle de ses partenaires… Beau, très beau, très beau Guglielmo que celui-ci.

L’ensemble vaut donc pour les qualités formelles d’une vision que l’on sent mûrie sur les chemins d’une vie qui touche à son terme. Il vaut aussi pour un ensemble d’individualités éclatantes mais qui savent, par ailleurs, se fondre quand il le faut, au creuset fondu par le chef. Il vaut par la somme de ses qualités… par celle de ses défauts aussi qui sont ceux inhérents à la réunion de talents forcément uniques : Harnoncourt + Ponnelle + Gruberova + Furlanetto + Montarsolo = … A vous de juger !

NB : « Petit » bonus de 34 minutes présentant des répétitions avec Ponnelle, pour que le produit fini reste aussi à jamais un work in progress. Paris ne s’est pas fait en un jour… Ce Così   non plus !


   Benoît BERGER

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