Franco Alfano (1876-1954)
Cyrano de
Bergerac
Comédie héroïque en cinq actes
Livret : Henri Cain, d'après Edmond Rostand
Orchestre National de Montpellier
direction : Marco Guidarini
Choeurs de l'Opéra de Montpellier
Mise en scène et décors : Frédérico et
David Alagna
Cyrano : Roberto Alagna
Roxane : Nathalie Manfrino
Christian : Richard Troxell
De Guiche : Nicolas Rivenq
Valvert/Carbon : Franck Ferrari
Ragueneau : Marc Barrard
La Duègne/Soeur Marthe : Hanna Schaer
1 DVD N° 476 739-6,
enregistré en 2003
et paru chez DG en mars 2005
Lyrisme ardent et grands sentiments prédestinaient
le
Cyrano de Rostand aux scènes d'opéra. Alfano s'y
colla, aidé de Henri Cain ( comparse de Massenet) - conservant,
avec coupures, le texte de Rostand. Grande première à Rome,
en 1936, en italien, Serafin dirigeant. Au disque étaient disponibles
deux versions exotiques. Cette captation a plusieurs mérites : une
distribution idiomatique, une vraie séduction visuelle, et la réintégration
de la scène du balcon - bravo ! L'oeuvre même n'est pas convaincante
pour autant. Luxuriance orchestrale et parlando post-debussyste font songer
à Korngold, à Schreker. Eux toutefois faisaient chanter des
livrets imprégnés de poisons rares et de parfums fanés.
Quoi de plus robuste au contraire, de plus sain, de plus délibérément
archaïque que
Cyrano ? Raffinements harmoniques et arabesques
mélodiques font se déliter la bravoure ; la verve s'étiole.
Scène du balcon et scène du camp laissent espérer
quelque lyrisme plein et épanoui ; on entend une fanfare, pire :
des flon-flon. Les mêmes défiguraient le finale de
Turandot.
N'est pas Puccini qui veut. Les scènes plus intimes sont mieux venues,
guère mieux inspirées. La mort de Cyrano est agitée
plus qu'intense ; une navrante faute de scansion l'entache (souvenir de
pennacchio mio, le e muet de "pana-che" sonne et tombe à faux).
Marco Guidarini, geste nerveux, fait ce qu'il peut avec ce qu'il a ; il
semble un peu débordé.
Le vrai prix de ce DVD, c'est finalement la performance de Roberto Alagna.
Le rôle est écrasant. A le regarder, on croit voir renaître
Sorano - malice, courage, ironie. La déclamation est impeccable
et suggestive. Elle suscite un regret amer : qu'il y ait de la musique
pour briser l'envol du vers. Qu'on lui donne Chaillot ! Et puis, manquent
des scènes truculentes où son ardeur eût fait merveille.
Domingo va reprendre le rôle au Met. Il a flairé l'aubaine.
ce n'est guère se hasarder que gager qu'il n'aura ni cette fougue,
ni, à fleur de mots, cette poésie. Ni, certainement, de tels
partenaires : Rivenq, de Guiche altier, carnassier, charmeur ; Ferrari,
Carbon batailleur ; Barrard, Ragueneau chaleureux ; Troxell, Christian
éperdu; et Nathalie Manfrino, sourire lumineux éclairant
une idéale blondeur. Et comme ils chantent ! Comme ils disent !
On en oublierait le grillage morne et torsadé de la rhétorique
alfanienne.
Conçus par les frères Alagna, décors et jeux d'acteurs
- riches étoffes, regards millimétrés - ravissent.
Ils sont captés au plus juste par une technique empruntée
aux concerts de rock et aux meetings sportifs : steady cam et bras télécommandés,
permettant plan rapprochés, balayages larges, travellings vertigineux.
La variété visuelle et la proximité dramatique sont
saisissantes ; cela devrait inspirer les tenants de la caméra sur
trépied. Bonus insignifiants. Alagna y apparaît en casquette
bouffante, short et marcel - mais c'est vocalement qu'il a ses élégances.
Sylvain FORT
Commander ce CD sur Amazon.fr
[12/05/05]